Comment résoudre les problèmes en évitant soigneusement de chercher des solutions ?

Intéressé(e)s pour découvrir comment résoudre les problèmes en évitant soigneusement de chercher des solutions ?

Telle était l’invitation paradoxale lancée sur LinkedIn pour promouvoir le parcours d’apprentissage à la pratique de la systémique en entreprise que j’anime avec Marc Brunet.

parcours d’apprentissage à la systémique

Commentaire d’un lecteur :
« Résoudre des problèmes sans rechercher une solution ? La nouvelle systémique ? Sans commentaire bien sûr!« 

Moqueur ? Sarcastique ? Ironique ? Dubitatif ?
Faute de précision, cet écrit laisse part aux interprétations…

Il nous a cependant appelé à expliciter notre proposition : quelle étrange idée en effet de ne pas chercher de solutions à nos problèmes !

« Systémique », de quoi parle-t-on ?

Nous disposons de plusieurs définitions de ce qu’est un « système », par exemple :

« C’est un ensemble d’éléments en interaction dynamique, organisés en fonction d’un but « 

Joël de Rosnay

Il est moins facile de s’accorder sur ce qui est entendu derrière le terme de « systémique ».

Grande difficulté que de mentionner ce terme sans recourir à des pages de définition…Pour certains, « systémique » signifie simplement prendre en compte la totalité, regarder l’ensemble. Pour d’autres, cela évoque une modélisation passant souvent par une représentation graphique des échanges au sein « d’un système », ce que l’on nomme en anglais le « System Thinking », popularisé par exemple par Peter Senge dans la 5ème Discipline (voir notre meetup « Les 11 principes de la pensée systémique« ).

D’aucuns tentent de distinguer les différentes manières de se représente un système. Ainsi Paul Lawrence propose un modèle hiérarchique en 5 niveaux (cf. Coaching Systemically).

5 manières de penser les « systèmes »

Une approche « relationnelle »

S’inscrivant dans la mouvance de Palo-Alto, notre approche systémique « relationnelle » appliquée à l’entreprise s’intéresse aux interactions entre les personnes dans le cadre professionnel.

« Fondamentalement […] nous envisageons les problèmes humains en général, (…) en termes d’interaction humaine ordinaire, et considérons quels peuvent être les résultats de cette interaction, pour le meilleur ou pour le pire. »

Dick Fisch

Tout en continuant de visiter encore et encore les Grands Anciens (G. Bateson, Don Jackson, D Fish, Paul Watzlawick, Lucy Gill…) dans une approche qualifiée de stratégique ou interactionnelle ou encore paradoxale suivant les courants, nous intégrons des évolutions plus récentes (Institut Gregory Bateson, Giorgio Nardone, Steve de Shazer, modèle de Bruges…) ainsi que l’influence des Sages Français (F. Balta, Teresa Garcia, J-A Malarewicz,…)

« même si « la science du management traite de structures autrement plus complexes que les microsystèmes de la famille ou du couple, une épistémologie systémique peut apporter tout autant au management qu’à la thérapie clinique »

(Watzlawick, 1988 [1991, p. 158])

Élaborer une démarche « systémique » pour les problèmes en entreprise, s’étend ainsi au-delà la Théorie Générale des Systèmes (L. Von Bertalanffy) pour intégrer la « nouvelle communication » (Y. Winkin), la cybernétique et ses évolutions (dite de second ordre), le constructivisme et le constructionnisme social,…

Transmettre par la pratique

Une fois précisé le cadre de référence, se pose la question de l’apprentissage et de la transmission d’une pratique

Il est assez facile de trouver des sources de savoir sur la « systémique » : livres, articles, vidéos…Il demeure plus difficile de savoir comment passer à la mise en pratique.

Pour tenter de répondre à cette question, nous avons imaginé un parcours d’apprentissage sur 6 mois. Inspiré des dispositifs d’Analyse de la Pratique Professionnelle, nous mettons au travail l’intelligence collective du groupe sur des situations professionnelles apportées par les participant(e)s.

parcours d’apprentissage par la pratique

Au fur et à mesure des séances, nous complétons l’exploration des cas avec des apports de théories et de modèles, soutenus par le partage d’une riche bibliographie structurée en thèmes.

Comment orienter la pratique ?

Aidez-moi, j’ai un problème !

« Le problème lui-même, et ce en quoi il nous pose problème, sont deux choses bien différentes !”

François Balta

« Ne vivez pour l’instant que les questions. Peut-être, simplement en les vivant, finirez-vous par entrer insensiblement, un jour dans les réponses. » 

Rilke, Lettres à un jeune poète

« When the solution is the problem »

Paul Watzlawick

« C’est donc sur la plainte du client – sur l’énoncé qu’il aura donné de tel ou tel problème qui dure, (…) – que, tout au long du traitement, nous concentrons notre attention. »

Dick Fisch

J’aurais pu continuer à accumuler les citations.

Tous ces auteurs, poète, psychiatre, thérapeute, nous incitent à nous méfier de notre compétence de « problem-solver ». J’ai un problème, je me précipite sur une solution…qui non seulement n’améliore pas la situation, mais même l’empire.

Se référer à mon article « Où j’ai foutu le pot de confiture », ou petite histoire constructiviste matinale, pour une illustration de ce comportement dans la vie quotidienne.

Inspirés par Gregory Bateson, les praticiens de « l’école de Palo-Alto » ont posé une distinction entre difficulté et problème.

Nous résolvons quotidiennement des dizaines de difficultés grâce à notre apprentissage, résultat de nos connaissances et nos expériences passées. De temps en temps, une difficulté résiste à nos tentatives pour la résoudre, notre apprentissage se révèle inefficace à trouver une « solution ». 

Plus nous essayons de trouver une solution à ce que nous nommons maintenant « problème », plus notre frustration, notre inconfort grandit face à la persistence du problème et à notre incapacité à le résoudre : « moi, qui d’habitude y arrive, je ne me reconnais pas »…Cette frustration limite notre capacité à envisager d’autres options et nous nous enfermons dans l’obstination à résoudre notre problème…

D’autres approches s’appuient sur l’idée qu’il n’y a pas de rapport direct entre « la solution »  et « le problème ». En particulier, dans une situation complexe, la « solution » a peu de rapport avec l’origine du problème (recherche de cause racine). En conséquence, il est plus efficace de se concentrer sur l’exploration de « l’espace solution » que de « l’espace problème ».

Si l’on prend la précaution de s’écarter de tout jugement moral (la solution, c’est bien – le problème, c’est mal), nous pensons que ces approches sont complémentaires et s’inscrivent dans un référentiel commun (constructivisme, cybernétique, systémique…)

Exemple : se détacher du résultat voulu

Photo by Richard Lee on Unsplash

Dans le cadre du meetup gratuit « un regard systémique sur l’entreprise«  que j’anime avec Marc Brunet, nous avons proposé lors d’une session récente de « se détacher du résultat voulu pour mieux atteindre son intention« .

Ainsi une participante a effectué le chemin suivant :

J’ai un problème avec une collègue trop orientée affect et pas assez factuelle.

J’essaye donc de l’amener à prendre en compte les faits, de la raisonner.

Q : est-ce que cette « solution » fonctionne ?

heu…ben non. Je me prends conscience de ma propre émotion comme un indicateur de mon niveau d’obstination sur MA solution, sans résultat autre qu’un accroissement de mon énervement…et donc de l’affect de ma collègue !

La « solution » aggrave le « problème ».

Je vais arrêter ma « solution » (la raisonner) pour simplement exprimer ce que je ressens dans ces situations.

J’arrête de vouloir changer l’autre pour commencer par changer moi…

Explorer le « problème » -> Élargir « la perception »

Cette approche invite à expérimenter un rapport différent aux « problèmes » :

1) c’est une personne qui qualifie une situation de « problème »

Le « problème » est une évaluation de la situation par un humain dans un contexte donné en fonction de ses propres objectifs. En adoptant une autre perspective, ce qui n’est plus un « problème » redevient un fait, un événement…

D’où l’importance :

– de questionnement comme « Qui fait à qui quoi qui pose problème à qui ? » (Formulation proposée par l’association Paradoxes)

– de relier la demande initiale au demandeur : « en quoi c’est un problème pour vous ? »

2) nous questionnons le changement envisagé : et si le statu-quo était une meilleure alternative ?

Ne pas changer, en assumant explicitement les conséquences de cette décision, fait partie des « solutions » au problème qui restent souvent dans l’ombre, inenvisagées.

3) en s’appuyant sur le paradoxe que nos efforts pour résoudre « un problème » le renforcent, nous pouvons poser l’hypothèse que si nous arrêtons de vouloir trouver à tout prix une solution, paradoxalement nous diminuerons peut-être le « problème », ou du moins son ressenti.

Cela ne veut pas forcément dire ne rien tenter, mais passer beaucoup plus de temps à explorer le « problème » qui se pose à nous avant d’agir pour le « résoudre » :

  • Quels sont les éléments (humains, intangibles, informations) qui contribuent à déterminer qu’il y a problème pour une ou plusieurs personnes ? 
  • Pouvons-nous représenter (dessiner, modéliser) le « problème » ? 
  • Pouvons-nous en modifier le récit ? Proposer des narrations alternatives ?
  • Que passe-t-il alors ? 
  • Quelles nouvelles perspectives apparaissent ? Qu’est-ce qui est différent ?
  • Comment la possibilité de nouveaux apprentissages émerge-t-elle ?

Questionner le problème, modifier la représentation, élargir la perception, explorer le contexte, c’est l’apprentissage que nous proposons dans notre parcours d’apprentissage à la systémique en entreprise

individualisé et collectif

Et c’est pourquoi nous invitons à apprendre à « résoudre les problèmes en évitant soigneusement de chercher des solutions… »


crédit photo : Mahdi Bafande on Unsplash

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