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Remplacer « Supervision de coachs » par « Espace de réflexivité pour les professionnels de l’accompagnement » ?

Résumé

Certains dirigeants expriment le besoin de bénéficier d’un accompagnement différent du coaching, ce qui conduit à explorer de nouvelles approches. La « supervision » répond à ces besoins, mais son nom pose problème. 

En effet, le terme « supervision » est souvent mal perçu, en particulier par les anglo-saxons, car il sous-entend une hiérarchie dans la relation. 

Émerge internationalement la proposition de remplacer la dénomination « supervision des dirigeants » par “’Espace de réflexivité pour les dirigeants » ou traduction similaire de l’expression « Reflective Space for leaders« .

Quelles conséquences ?

Lors de la session de mars 2024 du réseau français des superviseurs (1), Michel Moral nous a invité à réfléchir sur la notion de « superviseur de dirigeant ».

Supervision : un nom qui pose problème

Le mot « supervision« , au sens supervision de coachs, est souvent mal perçu. 

Il est interprété comme une relation où l’un (le SUPER-viseur) serait en position SUPER-ieure par rapport à l’autre.

C’est effectivement le sens en anglais :

“Un superviseur, ou chef, (…) est le titre d’un poste de direction de niveau inférieur qui est principalement basé sur l’autorité sur les travailleurs ou sur un lieu de travail.”

https://en.wikipedia.org/wiki/Supervisor 

Cette notion de hiérarchie amène la nécessité de différencier la supervision des professionnels de l’accompagnement de la supervision au sens anglo-saxon. Voici la définition proposée par le site de PSF, Professional Supervisors Network, représentant en France de l’ANSE (Association of National Organisations for Supervision in Europe) .

À la fois métier de l’accompagnement et processus relationnel confidentiel et sécurisé, la supervision est pratiquée par des superviseurs professionnels s’inscrivant dans un cadre de compétences et un cadre déontologique reconnus par leurs pairs.

Elle a pour objectif d’aider les professionnels de l’accompagnement et de la relation à améliorer la qualité et la sécurité de leurs interventions auprès de leurs propres systèmes-clients. A travers l’étude et l’analyse réflexive de leurs questionnements, la supervision interroge leurs zones aveugles, leur qualité d’être et de présence à soi, à l’autre, à la situation.

Qu’ils s’adressent à des individus ou à des collectifs – et sans aucun lien hiérarchique avec eux – les superviseurs sont conscients de l’impact sociétal de leur métier. Ils proposent un espace de ressourcement à leurs supervisés et soutiennent ainsi le développement personnel et professionnel continu de tous ceux qui sont leur propre outil de travail”.

C’est la création d’un cadre relationnel sécurisé qui permet aux deux acteurs (supervisé et superviseur) de prendre de la hauteur (‘vision hélicoptère”) pour adopter un point de vue SUPER-ieur sur les situations professionnelles. La SUPER-vision sera celle obtenue dans la relation en se mettant ENSEMBLE en surplomb de la situation professionnelle…

Une supervision des dirigeants ?

Semble émerger le besoin d’un accompagnement différent des leaders, dirigeants, top managers :

Ce qui émerge aujourd’hui, c’est la nécessité d’une plus grande conscience psychologique (Bluckert 2006, Peltier 2009) et d’un travail sur soi, en reconnaissant la co-relation entre ce que vous êtes et la manière dont vous dirigez ou travaillez (Murdoch & Arnold 2012).

(…)

La réflexivité des dirigeants est typiquement orientée vers les niveaux supérieurs de changement et travaille aux niveaux de la mission, de la finalité et de l’identité (cf. RObert Dilts).

Elaine Patterson, Jackie Arnold, and Dr. Alison Hodge (2)

Certains dirigeant(e)s demandent autre chose que du « coaching », les raisons en sont diverses et le phénomène encore peu étudié :

  • une certaine usure du mot coaching, sans doute dévalorisé par le pilonnage en règle effectué par certains acteurs médiatiques;
  • un besoin de temps long, de relation dans la durée, différant du temps limité du coaching;
  • une attente différente, pouvoir réfléchir sur les différentes situations qui se présentent au fil du temps, sans être restreints par un objectif de coaching;

La « supervision » permet-elle de répondre à ces besoins ? Qu’en disent les études ?

« Supervision de dirigeants » pour quels bénéfices ?

Peu de matière à ce jour pour répondre à la question du bénéfice de la « supervision de dirigeants ». Citons deux études récentes…

Étude de 2020 “Report from An Action Research Inquiry to Explore the Relevance and Value of 1:1 Executive” (2)

Les auteurs de cette étude, Elaine Patterson, Jackie Arnold, and Dr. Alison Hodge, soulignent que l’analyse documentaire met en évidence l’évolution des concepts de leadership au cours des 40 dernières années. Apparaît ainsi en relation avec notre sujet, l’importance de la compétence de réflexivité dans le développement du leadership.

Les résultats de l’étude montrent que “la supervision de dirigeant favorise une prise de conscience profonde de l’identité des dirigeants et améliore leur capacité à traverser les périodes de turbulence.”

2024…à venir…

Lors des Assises de la Supervision de PSF, le 21 mars 2024, Julien Granata dévoilera les premières conclusions de l’étude menée conjointement avec PSF sur l’accompagnement des dirigeants par la supervision.

Julien, PhD, professeur à Montpellier Business School et Responsable d’axe à la Chaire Mind, mène des recherches visant à comprendre les effets de la supervision sur les dirigeants – pour développer le « care » (prendre soin) dans les organisations – et sur le public spécifique des enseignants – pour insuffler le « care » dans les institutions.

Un espace de réflexivité pour les leaders ?

L’intérêt pour une « supervision » des dirigeants se développe donc…mais le problème du libellé demeure et même s’amplifie : quel dirigeant se sent à l’aise avec l’idée d’un professionnel tiers qui le SUPER-vise ?

Alors, quelle dénomination utiliser et comment la présenter ?

On parle souvent d’espace de supervision des professions d’accompagnement :

Une relation d’apprentissage co-créée qui soutient la personne accompagnée dans son développement personnel et professionnel. Elle offre un espace pour s’occuper du bien-être et de l’épanouissement professionnel et émotionnel.”

Elaine Patterson, Jackie Arnold, and Dr. Alison Hodge (2)

La focalisation sur un espace privilégié, permettant au dirigeant de sortir de la solitude inhérente à sa fonction, amène le terme « Reflective Space for leaders« , venu de Grande-Bretagne et des États-Unis, à candidater pour nommer cette activité d’accompagnement.

Cela pourrait se traduire en français par « Espace de réflexivité pour les dirigeants ou leaders« .

Voici la définition qu’en proposent Elaine Patterson, Jackie Arnold, and Dr. Alison Hodge :

L‘Executive Reflection (ou supervision du dirigeant) est une pratique spécifique.

Elle offre un espace créatif et réflexif et une oasis générative pour les dirigeants. En adoptant une « vision hélicoptère », ils sont amenés à élargir leurs perspectives et approfondir une conscience étendue d’eux-mêmes, de leur travail, de leurs relations et leur environnement.

« Report from An Action Research Inquiry to Explore the Relevance and Value of 1:1 Executive Reflection to Leaders in a Global, Virtual and Diverse World » (2020)

Reste à faire le travail de populariser ce que représente la « réflexivité » :

la réflexivité est l’aptitude du sujet à envisager sa propre activité pour en analyser la genèse, les procédés ou les conséquences

Place de la réflexivité dans les sciences humaines et sociales : quelques jalons

Lors des Assises de la Supervision de PSF, le 21 mars 2024, Hans-Ueli Schlumpf, membre du bureau de l’ANSE, viendra justement nous présenter « la pratique réflexive comme outil de développement de la conscience de soi et comme levier d’apprentissage ».

ANSE : Association of National Organisations for Supervision and Coaching in Europe

  • L’ANSE est l’association des organisations nationales de supervision et de coaching en Europe.
  • L’ANSE s’occupe des intérêts professionnels au niveau international.
  • L’ANSE est en contact avec les organisations professionnelles de la supervision et du coaching dans le monde entier.

Quels impacts ?

Au-delà de la lourdeur de la périphrase (“Espace de réflexivité pour…”) se pose aussi, dans cette dénomination, la question de la focalisation sur la réflexivité, au détriment peut-être d’autres dimensions…

En outre, ce nouveau terme désigne-t-il une nouvelle activité avec des compétences, des processus, des outils, des postures, une déontologie différente ? Et possiblement une formation, une accréditation, à distinguer ?

Bref, cela entraîne-t-il un possible chamboulement dans le petit monde du coaching et de la supervision ?

Généralisation du terme ?

Comme nous l’avons vu au début de cet article, le problème posé par le terme “supervision” ne se restreint pas au domaine des dirigeants.

Et puisqu’un nouveau nom est proposé, en poussant la démarche inverse, est-ce iconoclaste de se poser la question du remplacement complet de “supervision des professionnels de l’accompagnement et de la relation” par “espace de réflexivité pour les professionnels  de l’accompagnement et de la relation” ? Le superviseur devenant dans cette perspective le professionnel formé et reconnu qui garantit la sécurité de cet « oasis réflexif » mentionné plus haut.

Qu’en pensez-vous, quelle est votre réflexion sur ce sujet sensible, entre autres par les conséquences qu’il entraîne potentiellement sur le marché de l’accompagnement et les remous qu’il provoque au sein des fédérations ?

Je postule en tout cas que cela ne soit qu’un signe avant-coureur de la remise en question de l’activité de coaching telle que nous la connaissons aujourd’hui…

Et je m’interroge sur la perception par nos clients de ces querelles byzantines, quand leur préoccupation est simplement de trouver un consultant qui les aide à aborder avec confiance leurs soucis au quotidien…

RÉFÉRENCES

(1) FNSCN : Retour sur la notion de « superviseur de dirigeant » 
French Speaking Coach Supervisors Network, en langue Française animé par Michel Moral

(2) « Report from An Action Research Inquiry to Explore the Relevance and Value of 1:1 Executive Reflection to Leaders in a Global, Virtual and Diverse World » (2020)
Elaine Patterson, Jackie Arnold, and Dr. Alison Hodge – trad. par C.K

Image https://pixabay.com/fr/photos/t%C3%A9l%C3%A9ph%C3%A9rique-cordes-gondole-3624480/

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