Les niveaux d’Ardoino : un outil d’exploration des situations problématiques

Comment vous y prenez-vous pour analyser, comprendre, décrire, traiter un problème ?

C’est par cette question que nous avons ouvert la réflexion lors du meetup “un regard systémique sur l’entreprise” du mercredi 13 décembre 2023.

“Il faut prendre du recul sur la situation”

“Nous devons prendre de la hauteur par rapport au problème”

Oui, mais comment faire concrètement ?

Cette session proposait d’expérimenter un outil de prise de recul sur les situations problématiques :

1) en invitant chaque participant(e) à réfléchir à sa manière habituelle, privilégiée, “d’expliquer” un problème. 

🔺Hypothèse sous-jacente : cela s’appuie sur nos connaissances, notre formation, nos habitudes de pensée

2) en s’entraînant à une alternative à la causalité linéaire qui nous focalise sur la recherche de LA cause du problème. 

🔺Hypothèse sous-jacente : le lien n’est pas forcément direct et linéaire entre problème, cause et résolution

Un outil pour explorer 5 niveaux

Pour s’exercer à sortir de la confusion de niveaux, j’ai présenté le modèle proposé par le psychosociologue Jacques Ardoino en 1965 dans « Propos actuels sur l’éducation ». L’auteur nous invite à réfléchir aux réformes scolaires en parcourant 5 niveaux imbriqués comme des poupées russes, de l’individu à l’institution.

Les 5 niveaux d’Ardoino

Au fur et à mesure de la montée dans les niveaux, le contexte englobant la situation s’élargit…Le modèle proposé permet de prendre en compte la complexité des situations dans d’autres contextes, par exemple les conflits en entreprise…

1. Niveau personnel ou psychologique

La situation est décrite à partir des caractères personnels des acteurs (voir de leur “profil de personnalité”) : c’est la grille de lecture la plus fréquemment utilisée en pratique : “c’est la personne qui a un problème”

Elle suggère des interventions de type psychologique ou d’apprentissage.

2. Niveau relationnel

La situation est décrite à partir de la nature des relations entre les acteurs : “ces deux-là ne peuvent pas s’entendre”

Les interventions font appel aux techniques d’accompagnement relationnel (systémique, analyse transactionnelle….)

3. Niveau groupal

La situation est décrite par la dynamique du groupe : “cette équipe ne veut pas changer, s’améliorer, se remettre en question…”

Les interventions concernent le responsable du groupe (qui doit développer son leadership) ou s’appuient sur des approches collectives : cohésion de groupe, régulation, team-building…

4. Niveau organisationnel

“Nous les commerciaux, on n’en peut plus de ne pas être soutenus par la logistique, le client, c’est vraiment pas leur problème !”

La situation est décrite en s’intéressant à la structure (approche des consultants, des transformations “organisationnelles”), à l’organisation (exemple de la sociologie des organisations de Crozier) ou à la culture organisationnelle (Schein, Mintzberg…)

Les interventions sont généralement déclenchées par les dirigeants de l’organisation (renforcer l’efficacité, développer la coopération…).

5. Niveau institutionnel

Cette génération n’aime plus le travail”, “l’esprit collectif se perd”, “c’est la faute des syndicats, du patronat…”…

La situation est décrite à partir de la loi, des normes, des valeurs, des modèles idéologiques ou culturels actifs dans la société : patriarcat, minorités, classes sociales, pouvoir économique…

L’intervention semble échapper au cadre de l’entreprise (lutte politique, syndicale, r. 

Cependant, les pratiques narratives (Michael White – David Epston) , par exemple, proposent des approches pour traiter de l’intériorisation par l’individu ou le groupe de ces influences sociales. 

Distinguer …  nos préférences personnelles

Nous pouvons être enclin(e) à privilégier dans l’explication, tel ou tel niveau d’analyse parce que c’est celui pour lequel nous avons développé le plus de compétences… d’intervention ! 

1) IndividuelPsychologie individuelle – Thérapie, Formations, Coaching
2) InterindividuelPsychologie relationnelles, théorie de la communication, Coaching
3) GroupalPsychologie sociale – Dynamique de groupe – Coaching d’équipe
4) OrganisationnelConsulting, sociologie des organisations, coaching d’organisation
5) InstitutionnelMacrosociologie, cabinet de conseils, programmes impulsés par les dirigeants

Ce modèle en guidant un élargissement du regard pose la question du mandat de l’intervenant et l’invite aussi à renforcer ses compétences dans d’autres domaines peut-être nouveaux pour lui…

“cette grille peut donc s’avérer être un instrument utile de diagnostic de nos préférences personnelles, intellectuelles et/ou spontanées et nous inviter à prendre en compte les niveaux que nous négligeons habituellement.”

Gérard Pirotton

De la difficulté de prendre en compte les différents niveaux

Après la présentation du modèle, les échanges en sous-groupes des participant(e)s à la session ont mis en évidence :

  • notre attirance pour localiser le problème chez l’individu et donc la tentation d’apporter une réponse au niveau de l’individu, même parfois quand nous pensons intervenir au niveau du groupe;
  • le manque d’habitude et d’outils pour travailler au-delà du niveau du groupe;
  • la réticence à regarder depuis le niveau organisationnel ou institutionnel.

Où intervenir ?

Pour la personne chargée de résoudre un problème, il est important d’agir. 

Or, plus on remonte dans les niveaux, moins l’action à court terme paraît possible : comment en tant que coach intervenir sur l’organisation ? Comment en tant que manager intervenir sur la financiarisation de la société ?

D’où la tentation renforcée d’aller chercher ses clés sous le lampadaire, là où c’est éclairé, plutôt que là où on les a perdues et donc d’intervenir au niveau habituel où notre action est susceptible d’entraîner un impact à court-terme, donc visible…

Avec quelles conséquences ?

Cela peut entraîner au moins deux conséquences :

  1.  traiter un symptôme (conflit interpersonnel) au lieu de le voir comme résultant d’un processus à un autre niveau, par exemple organisationnel, qui reproduira donc le conflit ailleurs, avec d’autres protagonistes. Se retrouve ici l’importance de considérer le délai s’écoulant entre une action et ses conséquences.
  2. valider une lecture “automatique” de “culpabilité” du niveau sur lequel on intervient : c’est la faute à une personne, un groupe d’individus, une classe sociale, etc.

Traiter un symptôme peut conduire à des solutions temporaires inefficaces. Patience et vision à plus long terme sont requises lors de l’intervention à des niveaux plus élevés.

Conséquences éthiques

« L’homme sait assez souvent ce qu’il fait, il ne sait jamais ce que fait ce qu’il fait. »

Paul Valéry

Considérer ces différents niveaux amène à une réflexion sur l’éthique de l’intervention :

quand j’agis pour résoudre un problème, quelle explication du problème je valide et quelles en sont les conséquences, en particulier sur les personnes et les collectifs ?

D’où l’importance  de disposer d’outils d’exploration comme les niveaux d’Ardoino qui nous guident dans la réflexion sur le problème et d’espaces réflexifs comme la supervision qui vont permettre de développer notre conscience de “ce que fait ce que nous faisons”

A vous d’explorer et d’élargir…

Présentation du parcours d’apprentissage « Développer un regard systémique », co-animé avec Marc Brunet


Pour aller plus loin

Spéciale dédicace à Luc Taesch qui m’a permis de découvrir cet outil

Un autre outil “en niveaux” : Les échelles d’observation de D. Desjeux

Le support de la session et la présentation des 5 niveaux.

Un bon article du très recommandable Gérard Pirotton sur les niveaux d’Ardoino (en  particulier le paragraphe “Se méfier du seul niveau individuel »)

Illustration des cinq niveaux sur la description des conflits

La Grille d’Ardoino pour contrer le stress professionnel négatif

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