Coaching d’équipe : Pour ou contre les entretiens individuels ?

Doit-on commencer une intervention auprès d’un collectif par des entretiens individuels ou par une observation de l’équipe en situation de travail ?

Cette question m’a longtemps travaillé au point de l’emmener en supervision !

Entretiens individuels

Jacques-Antoine Malarewicz nous avertit avec humour que si la multiplication des entretiens individuels avant l’intervention pour établir un “diagnostic” est rentable pour le consultant, elle ne facilite pas forcément le changement.

Il nous prévient que le coach risque “la mort par noyade” :

La masse des informations sous laquelle un coach […] peut accepter de disparaître et donc de se noyer.   […] Plus les informations sont nombreuses, plus il devient difficile d’en faire quelque chose d’utile.

Jacques-Antoine Malarewicz (voir bibliographie en fin)

Commencer par des entretiens individuels présente également le risque de nouer des alliances individuelles qui pourront entraver l’accompagnement futur. Le coach devra éviter plusieurs pièges :

  • trouver certaines personnes sympathiques et adopter leur point de vue ou leur mode relationnel. Malarewicz utilise l’image du cordon ombilical qu’ils nous tendent  “pour s’assurer de la transfusion massive et continue de protection”, le coach risquant alors la mort par étranglement ! (avec le cordon);
  • se transformer en bureau des pleurs et d’enregistrement des plaintes à transmettre à la hiérarchie;
  • devenir complice des secrets partagés dans l’intimité de la conversation.

Tous ces pièges conduisent l’intervenant à reproduire ou amplifier le fonctionnement déjà existant et donc à diminuer son pouvoir d’influencer le changement demandé.

S’il choisit l’option de l’entretien individuel, l’intégration de deux précautions dans son cadre aideront le consultant à s’en sortir :

  • ne pas être messager des plaintes;
  • ne pas être complice des secrets.

Pour décourager l’alliance par le secret, voici deux astuces de vieux renards :

  • François Balta « Attention, j’ai tendance à déformer ce qu’on me dit »
  • J-A Malarewicz « Si vous partagez un secret avec moi, sachez que je ne sais pas le garder »

Observation du collectif

Observer le fonctionnement de l’équipe pour y repérer des redondances, des patterns de relations « dysfonctionnelles » paraît séduisant : on observe le système avant d’intervenir.

Là aussi quelques écueils nous attendent :

  • Quel est le système à considérer ? Un système n’est qu’une construction mentale, ce qu’on observe n’est qu’un sous-système sur lequel d’autres systèmes appliquent des contraintes. Définir un système, c’est déjà peut-être accepter une représentation du problème que l’on nous tend.
  • L’observation « neutre » est une illusion. La présence de l’intervenant crée un nouveau système où il devient observ-acteur (2ème cybernétique) modifiant les interactions et interprétant ce qu’il perçoit.
  • Comment passer de la position d’observation à la position d’intervention ? Si la situation est conflictuelle, le consultant risque de se trouver piégé dans le conflit, sommé de choisir, entraîné dans les jeux de loyauté…

Une posture systémique consiste à transformer le “diagnostic d’expert-sachant” en “hypothèse maladroite” d’un intervenant ignorant des processus à l’œuvre et qui sollicite l’intelligence du groupe pour comprendre. 

Roch du Pasquier propose d’adopter la posture de l’inspecteur Colombo :

“L’inspecteur est très proche, attentif et présent à celui qui lui parle. Il demande des éclaircissements, valide les compétences de son interlocuteur, lui fait part de ses questions. (…) En proposant des reformulations originales, naïves ou confuses, l’inspecteur amène son interlocuteur, parfois très agacé, à lui ré-expliquer sa pensée en changeant”

Roch du Pasquier (voir bibliographie en fin)

Exemple dans un coaching de CoDir où l’ancien patron a du mal à partir, à laisser sa place et où tout le monde sait que son adjoint lui remonte tous les échanges, entretenant ainsi un climat de méfiance.

Dans ce contexte, l’intervenant peut prescrire ce qui existe déjà, c’est une manière de reprendre la main, de prendre le contrôle sans susciter de résistance :

 « c’est sûrement très difficile pour M. X (l’ancien patron) de se couper de son équipe,
il faut vraiment que toute l’équipe le tienne au courant du moindre détail.
« 

La proposition n’a pas pour intention d’expliquer, mais de proposer un chemin à emprunter ensemble pour s’interroger sur la situation, les processus qui l’entretiennent et le contexte où elle prend sens.

Comment rester systémique dans les entretiens individuels ?

L’intervenant conservera à l’esprit qu’une partie du problème vient de ce que, au démarrage de l’intervention, les parties prenantes ne sont pas d’accord sur ce qu’est le problème ! Sa stratégie consistera d’abord à créer des occasions de partager les différents points de vue sur la situation, sans en devenir lui-même l’avocat.

Afin de susciter des conversations systémiques, il est indispensable que les absents soient aussi importants aux yeux de l’intervenant que la personne présente. Le consultant gardera à l’esprit d’amener ses interlocuteurs à s’interroger sur la manière dont ils imaginent les préoccupations des absents.

Pour François Balta, c’est une opportunité de recadrage. S’il est difficile de recadrer la perception que la personne a de soi-même sans provoquer de résistance, il est plus aisé de questionner ce qu’elle imagine que l’autre pense et ressent, sa représentation du système relationnel. Fort de sa position basse d’ignorance, le coach en profitera pour élargir et poser des questions ouvrantes…

Il ne s’agit pas de chercher une illusoire “vérité”, mais d’expliciter les écarts de perception (cf. l’article de Roch Du Pasquier sur les hypothèses cité en bibliographie ).

Ex. :

  • qu’est-ce que vous imaginez qu’il/elle ressent ?
  • qu’est-ce que vous imaginez qu’il/elle qu’il imagine que vous ressentez ?
  • etc.

En gardant en tête que son client, c’est le système, la stratégie de l’intervenant sera donc d’interroger ce que chacun se raconte sur les comportements, les ressentis, les interprétation des autres acteurs. Explicitant comment les acteurs se perçoivent les uns les autres, il cherchera ainsi à élaborer progressivement une hypothèse commune sur « ce qu’ils font ensemble » (Mony Elkaïm).

En éclairant pour les parties prenantes les processus qui construisent la situation/problème, il amènera de l’information dans le système. Information au sens où Bateson l’a définie : « Une différence qui fait la différence », quelque chose qui fait que l’on ne voit plus les choses comme avant, qui fait que l’on s’étonne, qui fait dire « je n’avais jamais vu les choses comme cela » ou encore « je ne m’étais encore jamais posé cette question » (Guy Ausloos).

Le confort de l’accompagnant (Guy Ausloos)

François Balta souligne que le choix de la modalité d’intervention initiale tiendra également compte des préférences du coach : 

  • Est-il à l’aise dans les situations de tensions dans le collectif ? 
  • Sait-il en entretien individuel accueillir la parole de l’interviewé sans adhérer à ses propos ?

La nature de la demande d’intervention influera sans doute également sur les modalités retenues par le coach…

Et vous, préférez-vous observer le système à l’œuvre ou vous en construire une représentation progressive au travers d’entretiens individuels ? Ou conjuguer vous les deux ?

Dans quels types de situations ? Et pourquoi ?

systemique #coaching #equipe

Références 

  • Jacques-Antoine Malarewicz “Réussir un coaching grâce à l’approche systémique” (2003)
  • François Balta (avec Emmanuel Fourest, Chantal Victor) “Approche Systémique Coopérative, Soutenir l’alliance, utiliser les résistances” (2022)
  • Guy Ausloos “La compétence des familles: Temps, chaos, processus” (1995)
  • Roch Du Pasquier “Position basse, affiliation, inspecteur Columbo” (2018) : https://www.copes.fr/Presentation/Blog/1038 
  • Roch Du Pasquier “Hypothétisation, hypothèse systémique, hypothèse circulaire : la jungle des hypothèses” (2018) : https://www.copes.fr/Presentation/Blog/1001 

Image : https://pixabay.com/images/id-4040818/

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