Année après année, selon les études, enquêtes, rapports quel est l’empêchement #1 à la transformation agile ?
> La culture de l’entreprise !
Mais, ami agiliste, c’est quoi l’agilité ?
> un état d’esprit, une culture…
Autrement dit, ami agiliste, si j’ai bien compris, l’empêchement principal pour avoir une culture agile (résultat d’une transformation), c’est … de ne pas avoir de culture agile ?
Silence…
On me dit que les transformations agiles ont du mal à réussir ?
Etonnant, non ?
Le triomphe du management classique
Etonnant ?
Pas tant que ça finalement, car l’histoire des transformations se répètent. Avant Agile, il y a eu le Lean Management. Dans « The Triumph of Classical Management Over Lean Management: How Tradition Prevails and What to Do About It« , Bob Emiliani nous explique pourquoi, lean ou agile, à la fin c’est toujours le management traditionnel qui l’emporte…
Le Dr Bob Emiliani s’est demandé pourquoi, en dépit des bénéfices constatés dans les rares cas de réussite, est-ce si difficile d’intéresser les dirigeants au Lean management ?
Un manque d’intérêt pour le « Progressive Management »
L’auteur regroupe sous le terme générique de “Progressive Management” toutes les tentatives d’instaurer une nouvelle forme de management : Toyota Production System, Lean Management, Agile, etc. Il désigne le livre du Dr Deming « The New Economics » (1993) et son concept de “System of Profound knowledge” comme représentatif de ce courant qui, d’après lui, se construit par imitation d’un système vivant évolutif.
Très souvent, malgré tous les avantages avérés du “Progressive management”, transformer une entreprise pour lui appliquer ce type de management s’avère au mieux difficile, au pire un échec.
La littérature de “l’industrie du leadership” (cf. Jeffrey Pfeffer) regorge “d’explications” à ces échecs, le problème de culture évoqué dans notre introduction en étant l’exemple le plus commun. Le Dr Emiliani en cite d’autres que vous reconnaîtrez certainement :
- Manque de soutien de la direction
- Dirigeants non engagés personnellement
- Peur du changement ou de l’échec
- Mauvaise communication
- Pas de sentiment d’urgence
- Pas de formation ou mauvaise formation
- Les cadres intermédiaires sont l’obstacle
- Les dirigeants ne traitent pas les employés avec respect
- Manque de responsabilité
- Manque de récompenses et de reconnaissance
- Impossibilité d’abandonner le command-and control
- Pas d’exemplarité (mauvais comportements)
- Pas intéressé par le développement des personnes
Causes ou symptômes ?
Pour lui, dans l’esprit lean de recherche de cause racine, la liste ci-dessus décrit plutôt les symptômes d’un processus plus profond qu’il nomme l’institution du leadership. Ainsi, le leadership reposerait sur une tradition de “System of Profound Privilege”, hérité d’un pouvoir divin revendiqué par les monarques. Ce système se construit sur des idées préconçues, des préjugés et cherche avant tout à se préserver par le statu quo.
Les adaptes de systémique flaireront ici l’odeur de l’homéostasie :
“Un aspect important de la préservation du statu quo est que ses gardiens évitent les perturbations et s’assurent que l’unité est maintenue, ce que le Lean menace évidemment. Quel est le statu quo sinon pour éviter les perturbations et la désunion? Et si l’on ne fait rien pour bouleverser le statu quo, alors on peut essentiellement mener une vie respectable et irréprochable. ”
Dr Bob Emiliani
Un processus de pensée favorisant le statu quo
Le Dr Emiliani propose l’illustration ci-dessous pour décrire le processus mental qui conduit un leader à la décision “pragmatique” de dire oui aux outils et processus, non à la transformation.
Dr Emiliani – https://bobemiliani.com/system-t-and-lean/
En voici une traduction/interprétation personnelle :
Processus de pensée d’un CEO sur une transformation (Lean, Agile…)
Les affaires et l’économie sont des jeu à somme nulle (gagnants / perdants) | Vus au fil des années de nombreux dirigeants se casser les dents sur des projets de ce type | |
Peur de mauvais résultats économiques | Les biais cognitifs évitent de reconnaître les exemples existants de transformations réussies et leurs bénéfices | |
Perte de statut social dans l’entreprise et la société | Que penseront de moi mes homologues, mon groupe de pairs ? | |
Perte d’influence politique en interne et en externe | Ce sera de ma responsabilité, personne d’autre à blâmer si les choses tournent mal (d’où l’intérêt des cabinets de conseil pour jouer ce rôle de fusible – Note personnelle) | |
Rejeté pour « pouvoir passer du temps en famille » | Éviter de m’auto-infliger des souffrances inutiles. Pas de vague… | |
DÉCISION FINALE Les outils et processus Lean (Agile) : Oui ! La transformation (Respect for the People) : Non |
Ainsi, le maintien du statu quo est alimenté par des facteurs sociologiques, la peur de perdre les droits et les privilèges d’appartenance à une caste. Comme l’écrit Ken Eakin dans Why good people manage badly :
“C’est pourquoi, par exemple, les dirigeants préféreront presque toujours dépenser des dizaines de millions de dollars sur de nouveaux systèmes informatiques (qui améliorent rarement les performances de l’entreprise) plutôt que de passer 15 minutes par mois à parler directement aux employés sur le terrain, pour essayer de comprendre leur travail et les problèmes auxquels ils sont confrontés en tentant de satisfaire les clients tous les jours. Il y a trop de déshonneur dans le second et beaucoup plus de privilèges et de statut dans le premier.”
Ken Eakin
Les trois forces de rappel
L’auteur affirme que même les leaders les mieux intentionnés sont soumis inconsciemment à trois forces “sociologiques” de rappel :
1) le maintien de leur honneur et de leur statut, en particulier au regard de leurs pairs;
2) les enjeux politiques et économiques qui les amènent à rechercher le pouvoir et la domination territoriale plutôt que la coopération;
3) leurs modèles mentaux qui les amènent à négliger la rigueur scientifique, la logique rationnelle pour des approches plus “intuitives”, autrement dit faisant la part belle aux préjugés, aux idées reçues, au conformisme.
Alors, c’est foutu, on se résigne ?
Pour l’auteur, pas de grand soir révolutionnaire à attendre de transformations radicales, il vaudrait mieux s’atteler avec humilité à de petits changements à faible effort, faible coût.
Alain Cardon évoque ce type de démarche dans « Coaching d’équipe » :
une multitude d’options de « petits changements » anodins qui restent dans l’ordre du possible et qui ont le mérite d’être à la fois apparemment inoffensifs et ancrés dans l’action. (…)Le plus important quelquefois est de simplement créer de la surprise, du jeu, du mouvement, des interstices dans le système interactif, afin de créer des lieux de respiration, de surprise, d’adaptation. »
Alain Cardon
Bon, me direz-vous, le Dr. Emiliani n’est ni Peter Drucker, ni Guy Hamel : quelle légitimité a-t-il pour traiter de leadership et management ?
Vous avez peut-être raison…
Et et si le management traditionnel avait encore de beaux jours devant lui ?
Pour aller plus loin :
Le site du Dr. Emiliani, en particulier les articles Understanding the Institution of Leadership et System T and Lean et une présentation de l’auteur
Une courte vidéo : Bob Emiliani: The state of the art with “lean » and the Classical Management resistance
Une interview d’Ibrahima Fall : Humaniser le management : un projet illusoire ?