« Modèle Spotify » – partie 1 : un problème sans solution ?

“Spotify a essayé une structure d’équipe matricielle de longue durée avec un choix de mots inhabituels, mais cela n’a pas bien fonctionné.

Jeremiah Lee

En mai 2020, Olivier My a traduit le énième témoignage d’un ex-salarié de Spotify dénonçant le mythe du “modèle Spotify” : “Failed #SquadGoals” (avril 2020). La lecture de la traduction d’Olivier, “L’échec du modèle Spotify”, m’a amené à rédiger cet article en deux parties.

Le « modèle Spotify » tente de résoudre un problème d’organisation inhérent à la notion même d’entreprise : doit-on chercher à réaliser des économies d’échelle en regroupant des fonctions ou privilégier l’autonomie des lignes de produits/services, quitte à répliquer des fonctions ?

La « transformation agile » rajoute à ce casse-tête vieux comme l’entreprise, une nouvelle dimension : comment passer d’une organisation bureaucratique basée sur l’individu à une organisation plus adaptative construite autour d’équipes orientées produit ?

Dans ce premier article, nous allons voir comment ce questionnement traduit une polarité et les conséquences en terme de « solution ».


Prenons du recul par rapport à la pseudo-nouveauté du modèle Spotify (qui date quand même de presque déjà 10 ans) pour s’intéresser à l’histoire du changement organisationnel en entreprise. Si l’on met de côté l’aspect geek du vocabulaire Spotify (squad – tribe – chapter…), le modèle cherche à répondre à un questionnement…vieux comme l’entreprise !

Une tension inhérente à l’entreprise

Depuis son origine l’entreprise oscille entre deux types d’organisation : fonctionnelle et divisionnelle. L’entreprise cherche le meilleur moyen de concilier la division du travail d’une part, la coordination des activités d’autre part, l’économie et l’autonomie.

Eric Delavallée a écrit en juillet 2015 un article recommandable sur ce sujet : “Les deux logiques organisationnelles de base” (2015).

Tension – Oscillation -> Polarité

Quand un problème est récurrent, qu’il peut se décrire comme une tension entre deux approches, et qu’au fil du temps, les tentatives de solution semblent osciller autour de deux logiques, il est pertinent de se demander si l’on n’a pas affaire à une polarité.

(Voir l’article d’Olivier My : Polarity Management : pour plus d’empathie dans la résolution de problèmes complexes et ma mini-formation : Sortons de la binarité).

Nous avons affaire ici à une tension entre organisation fonctionnelle OU divisionnelle. Chaque approche présente ses avantages … et ses inconvénients !

Polarité fonctionnelle / divisionnelle

Une polarité ne pouvant se résoudre définitivement, chaque “transformation” va défaire ce que la précédente avait construit pour diminuer les inconvénients actuels en recherchant les bénéfices de l’autre polarité. Vous entendrez ainsi les salariés les plus anciens vous expliquer : « mais ce vous décrivez dans votre nouvelle orga, c’est comme ça qu’on travaillait avant ? »

Il convient de garder à l’esprit que, de toute manière, “modèle Spotify” ou autre, il ne s’agira pas d’une solution miraculeuse qui résoudrait définitivement tous les problèmes de gouvernance de l’entreprise (cf. l’article de Julien Jouhault, CTO de leBonCoin (mai 2020) : The ”Spotify model” : leboncoin’s experience & feedback).

Il peut s’agir d’un moment critique dans la vie de l’entreprise où le processus de régulation (homéostasie) appelle à changer quelque chose pour que le système puisse continuer à fonctionner…Si les bénéfices de la nouvelle organisation se font sentir au début, attendez-vous progressivement à voir apparaître également … ses inconvénients. Le jour où le ressenti des inconvénients dépassera celui des avantages, sera sans doute le début de l’élaboration de la prochaine réorganisation…

Une organisation matricielle orientée produit

Nouveauté : la « transformation agile » rajoute à ce casse-tête vieux comme l’entreprise, une nouvelle dimension : comment passer d’une organisation bureaucratique basée sur l’individu à une organisation plus adaptative construite autour d’équipes orientées produit ?

Dans “La renaissance de l’organisation matricielle”, Eric Delavallée liste 3 différences du “modèle Spotify” avec un modèle matriciel classique :

  1. l’unité organisationnelle de base est une équipe orientée produit
  2. la fonction de management n’est pas dupliquée mais partagée : d’un côté produit, de l’autre gestion des compétences.
  3. la personne en charge du fonctionnement du tout que représente la matrice est plus un facilitateur, un coordinateur et un régulateur qu’un manager hiérarchique (le fameux leadership).

Accompagnée d’une évolution du rôle du management

La renaissance des matrices est ainsi au moins autant un sujet de management qu’une question d’organisation.

Eric Delavallée

Cette précision dans l’article d’Eric Delavallée a également son importance : l’auteur invite à considérer que ce modèle ne comporte pas qu’un changement organisationnel, mais réclame aussi un raffinement des modèles de management suivant l’endroit où l’on se trouve dans la matrice. 

En conséquence, il ne suffit pas de revoir l’organigramme. Omettre de sensibiliser et d’accompagner les managers sur les différentes évolutions de leurs rôles peut se révéler très problématique dans la mise en œuvre.

Un modèle nécessairement évolutif

Tant la théorie dans l’article d’Eric Delavallée,

La renaissance des matrices ouvre ainsi la voie à la naissance d’un nouveau modèle organisationnel dont les contours se dessinent jour après jour au gré des expérimentations.

Eric Delavallée

que le retour d’expérience dans l’article de Julien Jouhault,

Aucune organisation n’est parfaite, aucun modèle n’est parfait. Il faut s’adapter au contexte, interne et externe, au marché, à la concurrence, etc… Et n’hésitez pas à revisiter régulièrement le modèle.

Julien Jouhault

insistent sur un point essentiel : la nécessité de l’évolution par l’expérimentation.

Dans un monde complexe et rapidement changeant, quel que soit le modèle organisationnel choisi, il devra :

  1. être transposé au contexte spécifique de l’entreprise, à sa singularité
  2. évoluer en permanence pour permettre à l’entreprise de s’adapter à sa situation interne et externe.

Dans le second article, « Modèle Spotify, fake ou utile ? », je présente les les arguments en faveur ou non du « modèle Spotify » et propose quelques questions à se poser en cas de décision d’adoption…

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