Ce que recouvre le mot supervision est très variable suivant les domaines et les perceptions. Vous pouvez consulter sur leur site la définition de PSF ( Professional Supervisors Federation), fédération dont je suis membre, .
Dans cet article, je combine deux modèles pour proposer un modèle du processus de supervision itératif et éco-systémique, reliant la supervision aux enjeux de développement durable.
Un processus itératif
Dans le British Journal of Hospital Medicine de mai 2009, Halpern et McKimm présentent un modèle de processus circulaire et itératif “d’interview” qui peut décrire aussi bien un processus de supervision que d’intervision entre pairs.

Hypothèse ?
Je trouve ce modèle intéressant par sa présentation circulaire là où souvent les modèles sont plutôt décrits de manière linéaire (cf. le GROW en coaching).
Précaution, le fait que le superviseur soit censé former une hypothèse dès la présentation du problème ou dilemme du supervisé peut nuire à une posture d’écoute et de curiosité, au risque de cantonner l’accompagnant à une posture de sachant.
Cela fait écho à une citation de Bill O’Hanlon :
“Les gens de Milan aiment à dire qu’il ne faut pas « épouser » son hypothèse, mais je suis plus enclin à dire qu’il ne faut même pas draguer son hypothèse. Je pense que les hypothèses ne sont au mieux que des distractions et au pire deviennent des prophéties auto-réalisatrices (sic)… Tous les thérapeutes brefs devraient avoir des canapés dans leur bureau… pour que le thérapeute puisse en faire usage dès qu’il a une hypothèse – il devrait s’allonger jusqu’à ce qu’elle disparaisse”!
— O’Hanlon 1986, p. 33
Cet accent sur l’hypothèse peut s’expliquer car l’article porte sur la supervision dans le domaine médical avec une intention d’enseignement (“as a clinical teacher”).
Le second modèle que nous allons présenter insiste au contraire sur l’écoute en début de session.
Rendons CLEAR le modèle CESAR
Hawkins et Smith ont proposé en 2013 un modèle pour décrire le processus de supervision, ils l’ont baptisé CLEAR acronyme pour Contract – Listen – Explore – Action – Review :
voir “The Future of Social Work Supervision – Professor Peter Hawkins – 9th July 2021”
J’ai déjà présenté ce modèle dans un précédent article : Modèles d’entretien de supervision.
J’y propose CESAR, une traduction en français du modèle, acronyme pour Contractualiser – Écouter – Sonder/explorer – Agir – Revoir
Soulignons ce que Peter Hawkins appelle la dimension “systémique” de l’accompagnement et qui traduit le souci d’un élargissement vers la perspective éco-systémique. Cet élargissement se matérialise en particulier dans les phases Contractualiser et Revoir.
Contractualiser
La session commence par une phase de contractualisation avec la personne ou l’équipe supervisée.
Cela rejoint l’article précédent qui rappelait que :
“vous devez clarifier les attentes des apprenants et des organisations qui en sont responsables, car celles-ci peuvent différer selon les organisations et selon le niveau du supervisé.”
Ici, la phase de contractualisation comprend l’élargissement aux différentes parties prenantes : quelle valeur cette session leur apportera-t-elle ?
Cela traduit le changement de paradigme de la supervision proposé par Peter Hawkins (The supervision paradigm shift). Non seulement superviseur et supervisé sont conjointement au service des besoins de l’organisation dans son ensemble et de ses parties prenantes, mais ils collaborent à créer une valeur partagée pour d’autres parties prenantes, celles de l’éco-système autour de la personne ou du collectif supervisé.
Exemple de question posée par Peter Hawkins :
“Prenez le temps de visualiser toutes les personnes et tous les systèmes importants au service desquels est votre activité.
Cela incluera les clients, les futurs clients, vos équipes, votre famille, vos organisations et leurs parties prenantes, la profession, l’écosystème etc.
S’il vous plaît, demandez à toutes ces personnes quelle est la question à laquelle ils aimeraient que vous réfléchissiez pour qu’ils puissent bénéficier de votre participation à la séance d’aujourd’hui ?”
Revoir
Dans une perspective plus linéaire que le modèle précédent, le superviseur guide la séance de supervision vers l’action : comment s’incarne l’apprentissage résultant des phases Écouter + Sonder-Explorer ?
Remarque pour les praticiens issus du monde du coaching : l’accent est mis est davantage sur les bénéfices de la séance pour les parties prenantes que sur l’atteinte d’un objectif.
Exemple de question proposée par Peter Hawkins :
Si vos parties prenantes étaient présentes, qu’auraient-elles apprécié du travail que nous avons accompli ensemble et quel serait le défi qu’elles nous lancent ?
Circularité
Que pensez-vous de nous inspirer du premier modèle décrit dans cet article pour insister sur l’importance de la circularité dans le processus de supervision ?
Voici une représentation circulaire de CESAR/CLEAR :

Lien avec les démarches RSE ?
Dans le modèle CESAR/CLEAR, la supervision connecte le supervisé aux défis qui se présentent à l’humanité et qui se concrétisent pour les entreprises par les démarches RSE de développement durable.
La supervision offre un espace de réflexivité où les situations amenées par le professionnel constituent des opportunités d’envisager les différents impacts de son activité, sur les aspects écologique, économique et sociaux.
Cela permet de d’enraciner dans le quotidien de l’entreprise une démarche RSE qui, sinon, court le risque de n’être qu’une initiative descendante supplémentaire…
En reliant explicitement supervision et éco-responsabilité au travers d’un élargissement éco-systémique, le modèle CESAR peut-il constituer un attrait supplémentaire pour diffuser la supervision en entreprise ?


Merci Christiphe pour ce bel article comme d’habitude très documenté … et qui nourrit une réflexion récente chez moi qui est l’impétueuse nécessité de faire superviser les DRH par des organismes extérieurs qui leur offre appui et aussi peut être protection ( à la manière d’un délégué syndical) . En effet , ils sont trop souvent aujourd’hui coincé entre direction et salariés, avec trop souvent des injonctions paradoxales. il me semble que le modèle de la supervision exterieure pourrait être une partie de lasolution , qu’en penses tu ?
Hello,
effectivement la situation des DRH est souvent source de mal-être et de souffrance au travail. En position médiane, elles concentrent les tensions qui traversent l’entreprise.
Le triangle des 3 P (Permission – Protection – Puissance) est un fondamental de l’accompagnement qui trouve ici toute sa nécessité.
Je développe l’importance d’accompagner les professionnels de l’accompagnement dans les 2 volets de mon article ACCOMPAGNER LES ACCOMPAGNANTS ? 1 – UN BESOIN et ACCOMPAGNER LES ACCOMPAGNANTS : 2 – AVEC LA SUPERVISION ?
Un espace de supervision est aussi l’endroit propice pour questionner son identité professionnelle dans différentes dimensions (ex avec les 4 zones de l’identité de Vincent Lenhardt).
Sur l’accompagnement de l’identité professionnelle, voir aussi mon article UTILISER UNE APPROCHE NARRATIVE EN SUPERVISION ?
Donc globalement, oui, une supervision extérieure peut contribuer à se reconnecter à la source (re-sourcer) et à développer la réflexivité sur les processus en jeu (reflet systémique)…