Denis Bismuth s’interroge sur l’accompagnement à proposer aux professionnels
“comme les managers, les formateurs, les DRH, ou toutes les professions pour lesquelles l’acteur est son propre outil de travail dans un environnement où son identité professionnelle est en mutation, voire protéiforme.”
Denis Bismuth
D’autres professions “accompagnant(e)s” sont concernées par cette réflexion : Executive coachs, consultants en management, spécialistes des ressources humaines, dirigeants d’entreprise / cadres supérieurs, travailleurs de la Santé / sociaux, psychologues du travail, enseignants, psychothérapeutes, médiateurs …
Quelles problématiques spécifiques rencontrent-on quand on est soi-même l’outil de travail ?
Être son propre outil de travail
Le fait d’être “leur propre outil de travail” constitue donc le facteur commun aux professions citées ci-dessus. Cela a plusieurs conséquences.
Que faire quand l’outil est défaillant ?
Si je suis mon propre outil de travail, il n’est pas possible d’aller chez l’équivalent d’un Castorama pour acquérir un nouvel outil lorsque l’ancien est défectueux.
C’est même plus compliqué puisque, si je suis mon propre outil, comment puis-je savoir que je suis défaillant, que j’ai besoin d’une réparation ou d’une mise à jour comme on l’évoque pour les logiciels ?
Un signal peut être constitué par l’identification de difficultés que je rencontre en tant que professionnel. Comment je fais quand j’ai une difficulté professionnelle : de quelles aides je dispose ?
Comment je détecte que je suis en difficulté ? Cela passe par l’écoute de signaux corporels (lassitude, perte d’envie, sommeil perturbé, nœuds à l’estomac…,) cognitifs (je ressasse, interrogations récurrentes…), émotionnels (stress, anxiété…). Encore faut-il être à l’écoute ou accepter d’entendre les signaux, sinon le risque que la situation personnelle se dégrade existe. A qui je peux confier cette difficulté ?
Mais comme JE suis l’outil, suis-je en difficulté globalement en tant que personne (ce qui est difficilement acceptable, syndrome d’imposture…) ou sinon quelle est la part de moi-même qui est mise en difficulté ? Où puis-je questionner ma difficulté ?
Et comme JE suis l’outil, si je suis en difficulté, comment je gère le risque de reporter cette difficulté sur l’autre pour éviter de me remetttre en question ? Si j’ai un problème, c’est de SA faute. Par exemple, parce qu’IL est “résistant”…
Guy Ausloos aborde ce dernier point dans COLLABORER C’EST TRAVAILLER ENSEMBLE (1991) :
“Un deuxième moyen qui me semble fondamental est d’abandonner les notions de résistance, de manque de collaboration, de non-motivation pour les familles. Ces notions ont été inventées par les thérapeutes pour justifier leur incapacité à entrer en relation avec leurs clients. Toute personne ou famille qui consulte ou qui sent que cela va mal a envie de changer ; encore faut-il que les thérapeutes soient capables de les accueillir, de leur inspirer confiance, de leur montrer ce qui les attend, de vaincre leurs peurs et leurs habitudes, en un mot de les rejoindre vraiment… Pour moi, il n’y a pas de familles résistantes, il y a seulement des familles qui manquent d’informations.”
Guy Ausloos
Ce que l’auteur décrit ici dans son champ d’intervention (la thérapie familiale) peut s’appliquer dans toutes les autres professions concernées par notre propos : si j’accepte que je ne peux pas obliger l’autre (ou les autres) à changer, que puis-je changer, moi, dans nos interactions pour que la relation évolue différemment ? Comment développer ma capacité à partir de moi, en pleine responsabilité ?
Autant de sujets qu’un accompagnant de l’accompagnant peut aider à explorer pour l’aider à peaufiner son « outil/soi ».
Travailler son identité professionnelle
Denis Bismuth parle d’un un environnement où l’identité professionnelle est en mutation, voire protéiforme.
Le monde bouge très vite, nous demandant une adaptation professionnelle de plus en plus fréquente. Des activités deviennent des métiers (ainsi du coaching), des fonctions deviennent des métiers (manager) en métissant leurs activités avec d’autres (manager-coach). On évolue de plus en plus de l’emploi à la multi-activités.
Dans “Petits deuils en entreprise” (2017 aux ed. Pearson), Jacques-Antoine Malarewicz nous explique que :
“Le travail fait partie intégrante de l’identité sociale de chacun. Aujourd’hui, on lui demande beaucoup plus en terme de reconnaissance qu’avant, surtout lorsque l’on éprouve des difficultés dans sa vie familiale ou conjugale. On le survalorise. En fait, on a tendance à chercher dans le travail la stabilité que l’on ne trouve pas ailleurs. Pourtant, c’est le domaine qui, entre la course à la rentabilité et l’explosion du chômage, est le moins susceptible de nous en donner ! “
Jacques-Antoine Malarewicz

L’accompagnement de l’accompagnant, en accueillant le ressenti, les interrogations, les doutes, aidera à conserver un point de repère, un alignement par rapport à ses valeurs essentielles pour ne pas se laisser emporter par le tumulte du changement…
Rester professionnel
Dans un écrit intitulé “Devenir accompagnant … et le rester”, Philippe Bigot propose de :
“questionner le désir de l’accompagnant dans les différentes étapes de la construction de son identité professionnelle. Pour le praticien, le “travail sur soi” est la condition pour que sa professionnalisation se mette en marche. L’enjeu devenant alors, pour lui, sa façon singulière de mobiliser ses compétences, en situation.”
Philippe Bigot
Philippe Bigot décode astucieusement en quatre parties le titre de son texte :
- Devenir accompagnant : c’est l’objectif et le résultat de la formation initiale, quelle que soit la profession d’accompagnement concernée. Une formation de plus en plus normalisée au travers par exemple des exigences d’inscription au RNCP et donc de plus en plus à adapter par le professionnel lui-même aux spécificités du terrain;
- les “…“ représentent l’élaboration et parfois la mutation de l’accompagnant au travers de son cheminement professionnel, cheminement qui lui permet de construire la singularité de son identité professionnelle;
- le rester évoque la nécessité d’espaces de professionnalisation, c-à-d de recours à des dispositifs d’accompagnement pour “travailler sur l’outil/soi” à partir des situations réelles d’accompagnement.
- l’implicite : Être accompagnant ou faire fonction d’accompagnant, ce qui permet de prendre déjà un peu de distance par rapport à « l’outil/soi ».
Si la formation se charge de la première partie, où puis-je ensuite réfléchir à ma professionnalisation en marche ?
Conclusion (provisoire)
La spécificité des accompagnants, qui sont leur propre outil de travail, entraîne différents types de difficultés qui les amènent à avoir eux-mêmes besoin d’un accompagnement pour rester professionnel, selon les mots de Philippe Bigot.
Dans la suite de cet article, Accompagner les accompagnants ? 2 – avec la supervision, j’expliquerai pourquoi la supervision me parait répondre à ce besoin…
Pour plus d’informations sur mon offre de supervision :
- La page dédiée sur ce site;
- l’article « C’est quoi la supervision ?«
Un commentaire