Utiliser une approche narrative en supervision ?

Quels modèles pour penser la supervision ?

Il existe des outils pour animer, conduire une supervision ainsi que des livres qui les décrivent.
Mais en amont, peut-on modéliser les types de demandes qui vont être amenées en supervision ?

Dans son livre « La bible de la supervision », Martine Volle propose de se repérer grâce à la boussole de la supervision.

La boussole de la supervision

Le large paysage couvert par la boussole s’étend de la didactique (1 – la pratique en elle-même), en proximité avec la formation et le mentorat, jusqu’à l’accompagnement de questions existentielles en bordure du champ thérapeutique (3 – hors de la pratique). Entre les deux, la catégorie sans doute la plus fournie contient les demandes liées à une situation spécifique (2 – au cours de la pratique).

Les supervisions proposées par les écoles de coaching s’inscrivent souvent dans le premier domaine : « j’apprends et ajuste mes gestes professionnels ». Elles prolongent la formation initiale en traitant les demandes du type « comment je fais pour… »
Les coachs plus aguerris vont y amener leurs sujets éthiques : « comment je fais quand… »

Le deuxième domaine est celui où l’on va trouver le plus d’outils pour nous aider à répondre aux questions du type « comment je fais dans une situation où… »

Le superviseur peut se trouver plus démuni pour aborder les demandes catégorisées dans le 3ème secteur, avec par exemple des questions identitaires, des remises en question de parcours, des perturbations amenées par la vie privée, l’intime…

Du côté de l’approche narrative

Une démarche d’accompagnement s’est focalisée sur l’exploration de l’identité : l’approche narrative. Le titre d’un livre paru en 2001 donne une belle définition de cette approche :
« Telling Our Stories in Ways That Make Us Stronger. »


Michael White propose de considérer que « L’identité est une construction sociale » donnant lieu à un récit sur lequel on va pouvoir travailler.
Dans le sillage de David Denborough, Dina Scherrer a popularisé en France arbre et voyage de vie comme outils d’exploration de ce que cette approche nomme métaphoriquement « le paysage de l’identité ».

http://www.wikipratiquesnarratives.fr/index.php?title=Fiche_de_lecture_%27Cartes_des_pratiques_narratives%27

Il apparait donc intéressant d’envisager l’utilisation des pratiques narratives dans la supervision, en particulier pour les demandes du secteur 3 de la boussole.

Expérimentation lors d’Agile Nantes

Lors d’Agile Nantes 2022, j’ai proposé un atelier de deux heures où les participant(e)s et moi-même avons pu expérimenter cette proposition.

L’agenda de la session se composait de la sorte :

1) séquence d’inclusion en binôme utilisant une carte de questions permettant de passer du paysage de l’action (expérience d’une situation) au paysage de l’identité en passant par les valeurs, ce qui est précieux pour la personne.
Cette séquence se reliait d’emblée au thème de la conférence : la valeur.

2) Debrief : l’exercice se prolongeait par un débrief introduisant quelques concepts des pratiques narratives et la présentation de la boussole de Martine Volle.

3) Conversation narrative : la partie 3 invitait un(e) participant(e) à participer à une conversation narrative avec moi (cf. en fin de cet article l’approfondissement sur la posture de l’accompagnant).

Cette conversation était observée par le reste du groupe, en particulier par deux personnes qui jouaient le rôle de témoins extérieurs, une technique spécifique de l’approche narrative.

Cette démo était suivi d’un debrief sur l’expérience vécue en commun.

4) Déclusion : pour clore la session, les participant(e)s retrouvaient leur binôme de l’exercice d’inclusion. Les binômes étaient invités à reprendre une conversation exploratoire à partir de l’identification de ce qui avait été identifié comme étant précieux pour chacun(e).

Cas d’utilisation

Dans le debrief, j’ai partagé des exemples de cas où personnellement j’utilise cette approche. C’est le cas quand le/la Supervisé(e) arrive avec :

  • un sentiment d’isolement, vivant un moment difficile de sa carrière;
  • un sentiment de désalignement, de perte de sens dans son activité;
  • un problème qui prend de la place, voire devient envahissant dans sa pratique;
  • un problème récurrent lors de ses interventions;

Cela ne requiert pas que les personnes accompagnées utilisent elles-même une approche narrative dans leur pratique. Il existe aussi des superviseurs qui basent l’essentiel de leur accompagnement sur une approche narrative. Voir l’exemple de l’article de Nicolas de Beer qui traite d’une demande dans le secteur 2 de la boussole (la relation à une situation) : une séance de supervision narrative.


A noter que je peux recourir également à une approche narrative dans le cas où une personne arrive à la séance de supervision sans sujet. Nous travaillons alors à renforcer son alignement, la connexion à ses ressources et à une clarification de son identité professionnelle…

Une ouverture *précieuse* !

Quand j’ai découvert la boussole dans ma formation à la supervision avec Martine, je me suis senti un peu démuni face à ce fameux troisième secteur. Le recours aux pratiques narratives m’aide à accompagner ce type de demande avec une grande richesse…


Pour approfondir

La réflexion sur une supervision influencée par l’approche narrative va bien au-delà de l’expérimentation décrite dans cet article, en particulier dans la réflexion sur la posture du superviseur. Je vous suggère deux lectures d’approfondissement :

1) Le chapitre « Supervision as Re-authoring Conversation » du livre « Narratives of Therapists’ Lives » (Dulwich Centre Publications, 1997) par Michael White.

« Ce chapitre propose une manière alternative de comprendre et de pratiquer la supervision narrative. Il comprend des explications détaillées sur la manière dont la réécriture de conversations peut être un élément clé de la supervision et fournit également un riche exemple d’une telle conversation. »

version en français / version originale

2) L’article « Narrative therapy and supervision » pour une réflexion sur la posture du superviseur du point de vue de l’approche narrative

« Une approche narrative de la supervision s’appuierait sur les possibilités d’histoires multiples et ne serait pas nécessairement en lien avec, ou ne privilégierait pas, les connaissances professionnelles du superviseur. Elle apporterait un éclairage critique sur les histoires que nous nous racontons à propos de la supervision du conseil et sur les traditions culturelles de ces pratiques professionnelles de « bon sens ».

Jane Speedy, “Consulting with Gargoyles: Applying Narrative Ideas and Practices in Counselling Supervision,” European Journal of Psychotherapy and Counseling 3, no. 3 (2000): 419–31

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