framework

Le cadre en question

L’innovation étant à la mode, il est de bon ton aujourd’hui d’inviter les collaborateurs à sortir du cadre. Invitation relayée par les managers, ceux-là même qu’on appelait hier…cadres d’entreprise. Et pour cela, quoi de mieux que de chercher plus d’agilité en adoptant…un framework, c-a-d un nouveau cadre !

Dans le domaine de l’agilité informatique, il est souvent fait mention de framework (“cadre de travail”), par exemple pour qualifier Scrum (utilisé pour les équipes) ou SAFe (utilisé pour des équipes d’équipes). Pourquoi employer ce terme un peu étrange ? Et comment cela peut-il nous éclairer dans la mise en œuvre de l’agilité ?

Framework : quesaco?

Un framework, contrairement à une méthode, s’assume incomplet : il revendique de ne pas tout expliciter. Le cadre fixe des limites, un espace de « jeu », le « jeu » dépendant de la situation, du produit ou du service à fournir. Le framework offre un espace de contextualisation indispensable dans la complexité.

“As we rolled Scrum out across the world it became clear that Scrum was a framework for inspecting and adapting to improve productivity, quality, and the work life of team members. It did not have the detailed practices in “methodologies” and was a framework for adopting additional practices that worked in various environments.”

 Jeff Sutherland

Le cadre concrétise un modèle théorique, tout en le laissant adaptable. Ce modèle se compose de :

  • 3 piliers (transparence – inspection et adaptation) et 5 valeurs (engagement, courage, focus, ouverture et respect ) dans le cas de Scrum,
  • 4 valeurs (alignmentbuilt-in qualitytransparency, et program execution) et 9 principes Lean-Agile pour SAFe.

Un framework délimite donc un espace à la fois ouvert et fermé :

  • ouvert à la contextualisation par des compléments émergents, afin d’adapter le dispositif pour le rendre fonctionnel;
  • fermé pour protéger l’intérieur de trop fortes contraintes extérieures et sécuriser le jeu dans le respect de l’intention initiale.

Ainsi Scrum est ouvert par exemple :

  • à une certaine latitude dans la cadence des itérations (un mois ou moins)
  • au choix de l’ingénierie de production, ce qui lui permet d’être utilisé dans des domaines très différents;
  • au format de description des éléments du Product Backlog, si beaucoup d’équipes IT parlent de « User Story« , il s’agit d’un héritage historique, Scrum n’effectue pas de préconisation en ce sens.

De même, Scrum est fermé par exemple :

  • sur la définition des rôles, considérant que disposer d’une seule personne décisionnaire du contenu du produit est une manière efficace de gérer le risque des influences multiples (rôle du Product Owner)
  • sur la définition d’une boite noire de production qui se ferme en début d’itération pour sécuriser la capacité à produire (valeur focalisation) et se réouvre en fin d’itération pour permettre l’inspection et l’adaptation.

Guider et contraindre

Un framework, incomplet par nature, sera nécessairement adapté et complété pour fonctionner.

Deux règles doivent être suivies pour éviter le risque majeur de dénaturer et fragiliser l’ensemble :

  • respecter l’intention, le modèle théorique (valeurs et principes);
  • favoriser l’émergence contextuelle et co-construite plutôt que la réplication de « bonnes pratiques » décidée de manière top-down et souvent issue de benchmarkings réducteurs.

On retrouve ici, l’influence de la Conception Orientée Objet, constituant fort de la culture des praticiens de l’agilité dans le développement logiciel. Dans le jargon de ce domaine, un framework se compose de classes qu’il convient ensuite de spécifier et d’instancier. Autrement dit, le modèle à la fois guide et contraint une version locale unique, adaptée à son contexte.

Le framework Scrum s’appuie sur des mécanismes internes, par exemple rôle du Scrum Master et retrospective (pour l’amélioration continue), afin de susciter l’émergence de solutions adaptées.

Du framework à la démarche agile

Mon intention en parlant de Scrum n’est pas de vendre ce framework comme LA solution agile. Au contraire, je pense qu’ayant émergé dans un contexte d’équipes de moins de dix personnes, il est par naissance inadapté à une démarche d’agilité d’entreprise.

Cependant, la réflexion qui le soutient, reposant sur des mécanismes de gestion de systèmes complexes adaptatifs, permet de guider la recherche de plus d’agilité au niveau de l’entreprise.

Retenons que la démarche vers plus d’agilité devra proposer :

  1. un cadre à la fois protecteur et permissif
  2. une intention explicite et générale (valeurs et principes) permettant la mise en œuvre contextuelle de pratiques alignées
  3. un mécanisme garantissant l’émergence de solutions spécifiques et co-construites

Nous pouvons y trouver un rapprochement avec un autre modèle puissant, provenant de l’Analyse Transactionnelle, celui des 3P : Permission et Protection au service de la Puissance.

Du framework au cadre en entreprise

Quid des personnes, de la gestion des individus et de leurs interactions ?

Du framework cadrant le processus agile de production, au rôle du cadre d’entreprise, le rapprochement fait sens, même si l’appellation de “cadre” tombe en désuétude. L’entreprise après avoir renommé ses cadres « managers », les enjoint maintenant, dans une certaine confusion, de devenir “leaders” ou “coaches”. Or le leader est justement celui qui sort du cadre pour influencer hors de sa zone d’autorité !

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Influence

La tension entre exigence et liberté, inscrite dans la notion même de cadre, est fondamentale pour l’action dans la complexité. C’est ce que rappelle Jean-Paul Bailly dans Réformez ! par le dialogue et la confiance :

C’est là que réside la véritable exigence. Et c’est en laissant beaucoup de liberté aux cadres qu’on leur permettra de bien prendre en compte cette complexité, non en les enfermant dans des règles rigides.” p109 2016

Jean-Paul Bailly

Un espace de liberté pour garantir la tension génératrice

Envisager le rôle de cadre-manager comme garant de la tension génératrice entre exigence et liberté, représente le fondement du management agile. Gagner en agilité, c’est sortir des règles rigides pour construire des cadres à la fois protecteurs et permissifs. C’est s’appuyer sur plus de confiance, pour offrir l’espace de liberté sécurisée, indispensable pour se mouvoir dans la complexité.

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