Au secours: un participant chante pendant mon atelier !

En intervision d’un groupe de coach-formateurs, un(e) participant(e) a partagé son désarroi face à un groupe qualifié de « difficile » “où il y en a même un qui chante pendant que je parle !”

(Dans la suite de l’article, j’utiliserai le féminin pour l’intervenante que je nommerai Dominique pour plus de confusion).

L’animation de ce groupe est difficile depuis plusieurs mois. Les participant(e)s ont une charge de travail très importante dans leur entreprise. Contrairement aux autres groupes animés par Dominique, ils ne voient pas encore l’utilité de ces ateliers de deux heures auxquels ils sont obligés d’assister tous les mois. L’animatrice est en souffrance et n’a plus envie d’animer ce groupe.

En prolongement des échanges que nous avons eu pendant l’intervision, j’ai souhaité en faire un cas de partage de la Méchante Connotation Positive de Guy Ausloos et François Balta (voir les références en fin d’article).

Un cadre peut en cacher un autre

Le cadre explicite, c’est l’ensemble des règles de fonctionnement adoptées pour permettre au travail d’accompagnement de se faire. Il porte donc sur la fréquence, la durée, le nombre des séances, leur lieu, le prix, les absences, les moyens de se contacter, la confidentialité et une stratégie en cas de problème vécu par l’une ou l’autre des parties.

Le cadre implicite de l’accompagnant porte sur son attitude, faite d’acceptation inconditionnelle et de compréhension bienveillante. Cette attitude n’a rien de spontanée en permanence et doit être reconstruite à chaque fois que les circonstances invitent à autre chose. Elle reste implicite pour le client, mais l’accompagnant l’a explicitement à l’esprit pour cadrer son intervention.

François Balta – GPS-2010-04 – Les Interventions Systémiques Coopératives

Attaque – Attaque

Dans cette situation, il y a une attaque au cadre explicite de fonctionnement du groupe. Une première possibilité d’intervention pour Dominique consisterait à proposer un moment de régulation.

Explorer ce qui la freine dans la tenue de ce cadre explicite pourrait faire l’objet d’une supervision. Ce n’est pas l’intention de ce texte.

Il y a également mise à mal de ce que François Balta appelle le cadre implicite, c-à-d la posture d’accueil de l’intervenant(e) par rapport aux membres du groupe et au groupe lui-même…Cet article traite de ce deuxième sujet.

Utiliser l’inconfort ressenti

François Balta nous rappelle que le bien-être de l’accompagnant(e) ne doit pas dépendre du fait que les accompagné(e)s aillent mieux ou pas.

En cas d’attaque du cadre implicite d’acceptation des accompagné(e)s, il nous propose pour le restaurer un outil initié par Guy AUSLOOS, thérapeute familial systémicien, la Méchante Connotation Positive

“Derrière cette appellation bizarre se trouve une procédure exigeante, à réinventer dans sa singularité pour chaque situation particulière : reconnaissance du mouvement négatif rencontré, et son retournement en enrichissement du travail commun.”

Guy Ausloos

Intention : utiliser ce qui gêne l’intervenant pour en faire une ressource au service du travail qu’il a à accomplir avec son/ses partenaire/s.

Une structure précise…

Cet outil combine :

– un côté “méchant” : prendre en compte ce que je pense qui est de l’ordre du rejet de moi ou de l’autre

– en lui donnant une connotation positive, grâce à l’inversion du ‘MAIS’ (Guy Ausloos).

Notre formulation habituelle présente d’abord l’aspect positif, le ‘MAIS’ complétant ensuite avec l’aspect négatif. “J’ai bien reçu votre rapport, MAIS il était bourré de fotes d’ortograf”.

Dans la connotation positive, nous inversons pour commencer par l’aspect négatif (le côté méchant) suivi d’un ‘MAIS’ qui introduit l’aspect positif.

“Cette manière d’utiliser le ‘MAIS’ étonne l’interlocuteur en commençant par aborder l’aspect négatif des choses ; il le rend attentif par ce fait même ; il gagne sa confiance en se montrant honnête, puisqu’il ose dire des choses qui ne sont pas nécessairement plaisantes ; il le laisse avec la connotation positive puisque le ‘MAIS’ fait oublier en partie la proposition qui précède.”

François Balta

… qui demande réflexion

Cette formulation requiert un travail personnel de l’accompagnant(e) pour donner un intérêt à ce qui l’a mis en difficulté.

Dans notre cas, pourquoi ce participant, Paul, a-t-il besoin de chanter ? 

Qu’est-ce qui l’amène à le faire ?

Qu’avons-nous comme information ?

  • Les participant(e)s sont surchargés de travail avec parfois des horaires 7h-20h.
  • Leur participation à ces ateliers est obligatoire. De leur point de vue, ils viennent contraints et forcés, ils n’ont pas le choix.
  • Plusieurs, dont Paul, ont exprimé ne pas trouver d’intérêt, ni d’utilité jusque-là aux séances proposées dans le parcours.
  • Si le comportement de Paul est extrême, celui d’autres personnes traduit un désengagement, un sentiment de perte de temps qu’en tant qu’animatrice Dominique n’arrive pas à retourner.
  • Généralement, dans son expérience avec d’autres groupes, si certains managers peuvent être désorientés au début, ils voient cependant leur intérêt croître au fil des séances. Dominique se dit donc qu’elle doit persévérer jusqu’à ce que le déclic se produise.
  • Jusque-là, Dominique a tenté de conserver le sourire, d’utiliser l’humour pour rester dans la légèreté.

Comment pouvons-nous utiliser cela pour construire une MCP à partir, à la fois, du comportement de Paul et du ressenti de Dominique?

En rapprochant deux hypothèses et en gardant à l’esprit que ce qui permet d’accueillir avec intérêt ce désagrément, c’est le fait de savoir que l’intervenante fait nécessairement partie du processus qui construit le problème :

  • Paul a besoin d’être entendu dans sa souffrance et ne trouve pas d’autre moyen dans un contexte où il se sent piégé;
  • Dominique en restant dans l’humour et la légèreté n’a pas donné de signe de reconnaissance du malaise exprimé par Paul et le reste du groupe.

La réflexion prend aussi en compte qu’il s’agit d’un groupe et que le comportement de Paul a aussi une fonction pour le groupe, sinon le groupe se serait auto-régulé pour signifier à Paul que sa conduite posait problème.

Tentative de formulation d’une MCP

Dominique tente la formulation suivante :

J’ai eu du mal à supporter que Paul chante pendant que je vous présentais l’atelier d’aujourd’hui. Ce n’est pas la première fois.

Cela m’a beaucoup perturbé et j’ai même ressenti un début de colère…

MAIS

…en même temps, je me suis dis que c’est la seule manière que Paul a pu utiliser pour me faire comprendre à quel point il ne trouvait pas de sens dans le fait d’être là.

Et que je n’avais sans doute pas assez accordé d’importance à son ressenti. 

Et c’est vrai que chanter aide à supporter les moments difficiles et que parfois on n’a plus que cette seule ressource-là à sa disposition quand on se sent piégé…

J’ai pensé qu’autrefois, lorsqu’ils descendaient au fond des mines de charbon, les mineurs emportaient avec eux un canari enfermé dans sa cage. Lorsque l’oiseau cessait de chanter ou mourait, cela leur fournissait l’indice de la présence de gaz toxiques et le signal qu’il fallait remonter à la surface au plus vite.

Et je me suis dit que Paul était peut-être le canari du groupe, le seul moyen que le groupe avait trouvé pour faire entendre son asphyxie d’être piégé dans une formation imposée et à laquelle il est difficile de trouver du sens au milieu d’une telle charge de travail !

Aussi, je remercie Paul d’avoir trouvé ce moyen de me faire entendre le malaise du groupe.

Et je lui propose à l’avenir de chanter de nouveau quand il se sentira mal dans le groupe et aura quelque chose d’important pour lui et pour nous à exprimer. 

Ce sera pour moi le signal de l’écouter et pour nous d’échanger…

D’ailleurs, il se peut même que, moi aussi, je me mette à chanter par moment si je n’arrive plus à vous dire les choses autrement…

Et si nous n’étions pas en visio, je pourrais pourquoi pas vous inviter à un moment de danse collective en citant la cigale de la Fontaine : 

“Vous chantiez ? J’en suis fort aise, eh bien! dansons maintenant.” 

Je pense que cela donnerait un moment intéressant : qu’en pensez-vous ?

Les bénéfices de la MCP

D’après “La Méchante Connotation Positive : structure générale”, François Balta GPS 2011

garantir une alliance et une coopération authentiques
rendre le contexte du travail plus confortable pour tous
ne pas méconnaître les difficultés
dire d’une manière recevable la façon dont l’intervenant se sent impliqué
installer une règle implicite de partage émotionnel
rechercher les ressources du/des partenaire/s
adopter et garder une position « basse » sur le contenu (respect des personnes) et « haute » sur le cadre qui en est renforcé d’une manière plus confortable pour tout le monde
vérifier un éventuel partage de son propre ressenti
établir un climat d’acceptation
créer, renforcer et protéger le cadre du travail

Plutôt intéressant, non ?

Prolongements

Si, finalement, Dominique décide de ne pas verbaliser la MCP au groupe, il est probable que le processus d’élaboration effectué aura changé sa perspective, son ressenti et donc son comportement face au groupe… 

Peut-être ne retiendra-t-elle que le comportement paradoxal de répondre au chant par la danse ?

Peut-être qu’en ayant apaisé son début de colère, elle trouvera l’idée d’autres modalités d’intervention ?

Qui sait…Chaque cas et situation est spécifique…

Cette élaboration peut également devenir un processus de supervision collective où l’ensemble du groupe est invité à travailler sur les MCP qui pourraient convenir à une situation amenée par l’un(e) d’entre eux…

Références

La compétence des familles. temps, chaos, processus. Ausloos Guy. Erès éditions, 1995

L’autosupervision, pour coachs et psychothérapeutes. Balta François. Fabert Editions, 2017

Accompagner avec l’approche systémique coopérative – Soutenir l’alliance, utiliser les résistances

François Balta, Emmanuel Fourest, Chantal Victor. InterEditions, 2022

Sur le site de François Balta, http://www.frbalta.fr/gps.htm, section 2011 : le cadre implicite

7ème partie : La Méchante Connotation Positive : structure générale  

8ème partie : La Méchante Connotation Positive : décrire le problème…  

9ème partie : La Méchante Connotation Positive : …et en faire une ressource

10ème partie : La Méchante Connotation Positive, un travail personnel

Image du monstre : https://pixabay.com/images/id-602548/

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