La boussole de la supervision dans une approche développementale

Que ce soit pour du coaching ou de la supervision, il est généralement affirmé l’importance de l’autonomie de la personne accompagnée. A éviter donc tout comportement qui “risquerait” d’entraîner une dépendance envers l’accompagnant.

Ce qui amène parfois à une certaine rigidité dans l’accueil des demandes du type “aidez-moi à…” : “je ne suis pas là pour vous donner le poisson, mais pour vous apprendre à pêcher…”

Réponse pertinente si notre interlocuteur n’est pas parti trouver réponse à sa faim ailleurs entre temps…

Apporte-t-on le même type de réponse suivant que nous accompagnions un(e) débutant(e) ou un(e) professionnel(le) expérimenté(e) ?

Comment introduire de la souplesse dans notre posture de superviseur pour mieux accueillir le besoin de la personne accompagnée ?

La combinaison de la boussole de la supervision avec une prise en compte des niveaux de maturité des accompagnés me paraît amener de la souplesse consciente dans nos accompagnements. C’est l’objet de cet article…

La boussole de la supervision de Martine Volle

Martine Volle a modélisé sous la forme d’une boussole les 3 principaux types de demandes traitées en supervision.

3 secteurs

  1. La pratique en elle-même : j’apprends et j’ajuste mes gestes professionnels en interrogeant ma pratique : Est-ce que je fais bien ce que j’ai appris en formation ? Comment faire sur le terrain en dehors de ce que j’ai appris en formation ? Comment sortir de la routine ? Une question d’éthique, etc.
  2. Au cours de la pratique : Au cours de la pratique, je prends du recul sur la situation du client, par rapport à moi même et au client : je suis stressé, je pense à ma mission la nuit et ça m’empêche de dormir, je ne me sens pas à la hauteur, j’ai l’impression que je suis en train de rater la mission…
  3. Hors de la pratique : Je travaille sur moi et en moi, hors de la pratique, par exemple sur une baisse de ma motivation, mon style singulier d’accompagnement, une invitation de question existentielle dans mon activité…

Vous pouvez retrouver une description de cette boussole dans le livre écrit par Martine Volle : « La bible de la supervision de coaching » aux éditions Eyrolles.

Utilisation en séance

J’utilise régulièrement cette boussole lors de mes séances de supervision :

  • en début de séance, pour définir la porte d’entrée selon le demandeur;
  • en cours de séance, pour expliciter que nous abordons un domaine différent, en passant par exemple d’une question orientée sur la pratique à la relation avec une situation spécifique;
  • en fin de séance, éventuellement pour revoir ensemble les sujets abordés et le chemin parcouru (cf. aussi mon article sur les modèles d’entretien et l’acronyme SEAT).

Cela permet de clarifier le travail que nous sommes en train de faire ensemble, la posture que j’adopte au fil de la conversation. En comparant à l’intention de développement professionnel définie ensemble au préalable pour une série de séances, ce positionnement contribue également à la construction dynamique de son chemin par le supervisé.

Trois niveaux de maturité de supervisés

Dans mes lectures d’articles et de livres sur la supervision, je trouve qu’il est assez peu décrit comment prendre en compte le niveau de maturité du coach pour adapter son travail et sa posture

Aussi ai-je trouvé intéressant une vidéo de 2013 “Providing Solution Focused Supervision in a Developmental Framework” par Christopher J. Quarto (https://youtu.be/U61uHI-nurY ).

Christopher distingue trois niveaux de maturité des “counsellors” qu’il supervise : débutant, avancé, expérimenté.

Le débutant

Le débutant a besoin de soutien, de conseil et de feedbacks sur sa pratique en construction. Il se rassure en suivant une structure prédéfinie (ex GROW) et un cadre de référence connu (ex bribes d’Analyse Transactionnelle). Cela provoque une certaine rigidité qui l’amène à laisser de côté des possibilités importantes qui émergent dans la conversation. 

Christopher privilégie la revue d’enregistrements de séance en se focalisant particulièrement sur la prise en compte des signaux émis sous différentes formes par le client, sur leur prise en compte ou non par l’accompagnant et sur les processus subjectifs à l’œuvre chez celui-ci. 

Le superviseur assume que le débutant va développer une certaine dépendance dans un premier temps. Il est confortable avec l’adoption au besoin d’une posture de sachant, d’enseignant qui va soutenir et compléter les structures utilisées par le supervisé.

Dans le référentiel de la boussole, le superviseur agit ici dans le secteur 1 couvrant formation, mentoring et supervision didactique.

L’objectif du superviseur tient compte de deux temporalités :

  • à court terme, répondre aux attentes du supervisé pour développer sa confiance, la conscience dans l’ici et maintenant et son pouvoir d’agir;
  • à plus long terme, se développer en maturité pour atteindre le niveau suivant et acquérir son autonomie, au fur et à mesure, dans un accompagnement sécurisant.

L’avancé

Le supervisé avancé a maintenant une meilleure connaissance de lui-même, des différents cadres de référence à sa disposition. Il est également plus à l’aise pour utiliser différentes structures de séances et introduire de la souplesse en fonction de l’évolution de la conversation avec son client.

Il est familier du processus de supervision, sa vision du superviseur a changé. 

Le superviseur n’est plus perçu comme un sachant ayant toutes les réponses, mais fonctionnant lui-même dans son propre cadre de référence fut-il composé de multiples influences. Le supervisé se sent légitime à ne pas être d’accord avec son superviseur et à prendre une part plus active dans sa supervision.

Le superviseur va davantage susciter la réflexion du supervisé, augmenter la conscience de soi en le reliant à ses expériences passées, l’aidant à prendre conscience de savoir-faire implicites, de compétences non conscientisées. 

Se situant davantage dans le secteur 2 de la boussole, le superviseur symboliquement prend plus de distance. Il va aider son client à prendre du recul, analyser les interactions, enrichir sa perception des processus d’accompagnement. Il va encourager l’expérimentation et la prise de risque mesurée en développant la sensibilité au feedback (au sens cybernétique d’informations reçues suite à une action). 

L’expérimenté

Enrichi de plusieurs années d’expériences, l’accompagnant a beaucoup moins besoin de soutien, de conseils, de compléments de formation. 

Une relation plus paritaire peut maintenant s’établir. Christopher qualifie cette relation de “collegial” au sens de “entre collègues” cherchant sur le même chemin. L’intention première est de renforcer, d’enrichir une identité professionnelle en harmonie avec l’identité privée.

Le superviseur va accompagner son client majoritairement dans le secteur 3 de la boussole pour affiner son style, sa singularité, intégrer les épisodes de vie à son développement professionnel. 

J’aime beaucoup la citation de Jean-Louis Guez de Balzac mentionnée par Martine Volle dans son livre :

“Ils ne se rendent ni à la raison évidente, ni à la coutume établie, ni à l’usage reçu ; ils opposent la singularité de leur opinion au consentement des peuples et à la foule des exemples.” (De la cour – 1658)

Jean-Louis Guez de Balzac

Le superviseur va inviter le supervisé à se relier davantage encore à l’intime, par exemple en explorant les échos avec les apprentissages de l’enfance (ex théorie des schémas, loyautés…), et à oser questionner l’existentiel et les grands sujets de finitude, liberté, isolement, sens (ex philosophie existentielle…).

Faire confiance à la boussole

Une boussole aide à se situer sur une carte, mais aussi à identifier ce qui nous entoure pour mieux nous positionner et identifier la direction à prendre.

La métaphore proposée par Martine Volle me parait d’autant plus utile pour guider le superviseur qu’elle se couple avec un modèle de maturité tenant compte de l’étape de développement du supervisé.

Leur utilisation combinée permet au superviseur de mieux se situer afin de prendre des décisions de mouvement en conscience et confiance, renforçant ainsi sa puissance de modélisation auprès des professionnels accompagnés…

En conservant à l’esprit que les demandes sont complexes et que :

“la boussole ne sert pas à catégoriser ou à cloisonner artificiellement le travail en étapes de 1 à 3.”

Martine Volle – p45

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