Didier(le prénom a été changé), coach agile (C.A.), amène la situation suivante en supervision individuelle :
Des Scrum Masters sont venus me trouver pour se plaindre du comportement d’un manager : véhément, dans la colère, il se vante de manager son équipe de développeurs par la peur.
Les Scrum Masters, eux aussi, ont peur de ses réactions et me demandent de ne pas remonter aux autres managers.
Un problème pour qui ?
En quoi est-ce un problème pour toi ?
Ça met à mal ma mission.
De quelle manière ?
Des Scrum Master et des développeurs risquent de partir.
En quoi est-ce un problème pour toi ?
…
Quelle est ton intention ?
Je veux l’amener à collaborer… rire – prise de conscience,
Ouais, je voudrais qu’il change son interaction avec les Scrum Masters, qu’il prenne conscience des effets de son comportement.
Quels sont ces effets ?
Ça bloque la relation, la collaboration.
En quoi est-ce un problème ? Pour qui ?
Didier ne parvient pas à trouver de conséquences concrètes au-delà de contrevenir à des “principes agiles”.
Au pire, il y aura quelques départs : Scrum Masters et développeurs.
Et le manager autoritaire ?
Il est bien vu par son N+2. Il a des résultats (réparer les bugs). Il a une réputation de tenir ses engagements. Ce qu’il fait, marche.
Donc, c’est pas un problème pour lui ?
Non
Du point de vue du N+2, qu’est-ce qui a le plus d’impact ? Un départ du manager autoritaire ou un départ de Scrum masters et quelques développeurs ?
Le manager autoritaire ! Les autres, il ne les connait pas !
Donc, quel est le problème ? Pour qui, à part les agilistes ?
Les développeurs, ils ne sont pas bien. On a fait un baromètre de leur état, c’est pas terrible.
Ok, c’est un problème pour qui d’autres qu’eux ?
C’est notre problème, les agilistes…
D’ailleurs un autre manager m’a dit : “ce qu’il faut avec lui, c’est de l’empathie, on le changera pas”.
Quelles questions systémiques peux-tu te poser sur cette situation ?
Palo-Alto 1 : regard sur la communication
Que demandent les Scrum Masters qui se plaignent ?
Je leur ai posé la question : que voulez-vous que je fasse ?
Réponse : rien !
Souviens-toi de la citation de Dick Fisch (créateur du Centre de Thérapie Brève de Palo-Alto) :
« Je ne suis pas réellement en train de te dire ce que je veux que tu fasses, dit l’un.
– Très bien, répond l’autre, je ne refuse pas réellement non plus. »
Dick Fisch
Gregory Bateson a proposé de considérer que dans toute communication, coexistent deux messages, un contenu explicite et un ordre implicite. Dans notre cas, ça pourrait être par exemple :
Explicitement (contenu) : rien, ils se plaignent, c’est tout.
Implicitement (ordre) : choisis ton camp, soutiens-nous ! Règle le problème pour nous…Sauve-nous…
Avec le risque pour le coach de prendre cette cape de sauveur qu’on lui tend si gentiment…
Et qu’as-tu fait ?
j’ai dit que j’allais observer une réunion entre eux et le manager.
Et quelle est ton intention en participant à cette réunion ?
…
Ok, tu m’as parlé du N+2, et le N+1 ?
Il n’y en a pas. Il est parti, et n’a pas été remplacé car les managers ont dit qu’ils étaient autonomes et pouvaient se débrouiller entre eux.
Ah…Et comment se débrouillent les autres managers avec ce manager autoritaire ?
Ben, il est en conflit avec le manager du Run, côté métier.
Ils ne peuvent pas se voir. Je t’en avais déjà parlé dans une autre séance.
Ah, intéressant.
Palo-Alto 2 : fonction pour le système
“Nous faisons du mieux que nous pouvons à la lumière des relations et des contextes dont nous faisons partie”
Don Jackson – fondateur du Mental Research Institute de Palo-Alto
En quoi le comportement de ce manager pourrait avoir une fonction pour le système ?
Qu’est-ce que ça permet d’éviter ? de ne pas avoir à se confronter ?
Ben, ça permet d’éviter le conflit entre les deux managers.
En fait, je lui avais parlé il y a quelque temps et il était d’accord pour essayer de fonctionner autrement, de faire une réunion avec les Product Owners pour en parler.
Ah, et alors ?
L’autre manager, celui côté métier a dit non. On va gérer ça entre nous, sans le “manager autoritaire”.
Donc, on pourrait poser comme hypothèse que ce “manager autoritaire” a trouvé le meilleur moyen pour lui d’atteindre ses objectifs (gérer les bugs rapidement) en imposant aux développeurs de court-circuiter les Product Owners. Vu qui il n’a pas eu possibilité de se mettre d’accord avec l’autre manager sur un autre mode opératoire adapté ?
Oui, d’ailleurs ça me fait penser que je ne connais pas le “flux” pour les bugs. Je ne crois pas qu’il soit décrit. Ça pourrait être un atelier à mener.
Oui et quel serait le livrable ?
Hum… un management visuel qui amènerait toutes les parties prenantes à voir l’état d’avancement ?
Cool…
En prenant comme hypothèse que le “problème” est un symptôme de dysfonctionnement dans le système, que la personne n’est pas LE problème, nous pouvons déceler des opportunités d’amélioration des processus et de la communication.
Hypothèse interactionnelle
Comme tu l’as dit, on pourrait poser comme hypothèse que le fonctionnement actuel permet aux deux managers en conflit d’éviter d’avoir à se confronter ? Et aussi d’avoir à se positionner et devoir gérer entre eux le problème du processus des bugs puisqu’il n’y a plus de manager direct ?
Que penses-tu de cette lecture du comportement du “mauvais manager autoritaire” ?
Ça se tient !
L’important d’ailleurs n’est pas que cette hypothèse soit vraie, c’est qu’elle permette une autre approche, une autre explication de la situation en requalifiant “positivement” le “porteur de symptômes” : le vilain canard.
Ça permet de passer :
– d’une injonction de changement : « tu dois arrêter de te comporter comme tu le fais parce que c’est pas bien ». Sous-entendu selon NOS valeurs, le coach agile jouant le rôle de gendarme, dépositaire du bien et du mal et donc recourant à la force pour obliger à respecter la LOI.
à
– une proposition de coopération respectant le LIEN : « peux-tu m’aider à monter un atelier pour qu’on explicite le processus de gestion des bugs ? »
Ça te convient ?
Oui, tout à fait !
La coopération plutôt que la condamnation
Nous ne savons pas si notre hypothèse est “vraie”.
Nous n’avons pas trouvé de “solution radicale” pour changer le comportement de l’autre.
Nous utilisons une démarche qui élargit (aux autres acteurs, au contexte…) et qui explore (les contraintes, les tensions dans le système…)
En élargissant le regard, en tenant compte des autres acteurs, des contraintes imposées par le système, nous avons élaboré un regard différent sur la situation. Cela diminue la pression émotionnelle et permet d’initier un petit changement qui ouvre une possibilité de coopération.
Ce qui se passera ensuite dépendra de tellement de facteurs…