“En tant que coach agile, doit-on coacher au sein d’organisations qui ne seront jamais agiles ?“ – ep 3

1) Un questionnement posté le 17 aout sur LinkedIn par Steeve Evers

Vous pouvez consulter le post de Steeve et les commentaires que cela a sucité sur ce lien : https://www.linkedin.com/posts/steeve-evers-b7343928_pour-donner-suite-%C3%A0-un-post-de-martial-segura-activity-6965701512782127107-XBF4 

Dans son post, Steeve livre sa réponse à cette question en argumentant sa position.

Dans un premier article, je considère que la question posée par Steeve relève de l’éthique ou de la déontologie. Je propose une distinction entre ces deux termes.

Dans une deuxième partie, intéressons-nous à ce qui existe dans la communauté des “coachs agiles” pour nourrir la réflexion dans ce domaine. Je prends l’exemple d’Agnostic Agile et du Code d’éthique de l’Agile Alliance.

Dans ce troisième et dernier article, au travers de cette question, je propose quelques réflexions sur la professionnalisation des agilistes, en particulier grâce à la supervision…


D’où je parle ?

Pourquoi avoir consacré trois articles à la question de Steeve ?

Et pourquoi ne pas simplement donner mon point de vue en commentaire ?

Après avoir pendant 20 ans d’abord pratiqué, puis accompagné l’agilité, si je continue à accompagner le changement en entreprise, le “coaching agile” n’est plus mon activité. 

Je me focalise aujourd’hui sur deux missions :

  • faciliter l’adoption d’un regard systémique sur les situations problématiques;
  • accompagner la professionnalisation des acteurs du changement (y compris donc des agilistes) grâce à la supervision.

C’est du point de vue de l’objectif de la supervision, contribuer au développement professionnel des acteurs du changement, que j’ai rédigé ces articles. 

La question posée me semble importante au regard du développement professionnel pour deux raisons :

1) elle traite d’éthique et de déontologie, sujets moins abordés fréquemment dans la communauté agile que les avantages/inconvénients des différents frameworks ! 

Ce faisant, j’applique le principe 9 du code d’éthique de l’Agile Alliance :

Responsibility to the profession

I will invite others who practice agile coaching to adopt professional standards and this code of ethics

Code éthique de l’Agile Alliance

2) elle permet d’illustrer un processus supervisant, c-à-d qu’au-delà de la réponse apportée, il s’agit de s’intéresser à la manière dont s’est élaborée la réponse. En éclairant ce processus d’élaboration, la supervision va chercher à clarifier les implicites, questionner les sources de connaissances, expliciter les croyances et valeurs et identifier les biais, les zones d’ombre…

Ce faisant, j’applique la compétence 6 du superviseur :

“Éveiller et enrichir chez la personne le champ de conscience de son propre développement”

Martine Volle in “La Bible de la supervision de coaching” (ed. Eyrolles).

Dans ce dernier article, j’élargirai donc la réflexion en partageant des interrogations et des pratiques ou dispositifs du monde du coaching professionnel.

Quid de la professionnalisation du “coach agile” ?

Qu’en disent les deux sources vues dans le 2ème article ?

Agnostic Agile

La première, Agnostic Agile, n’est pas très explicite sur la professionnalisation du “coach agile” :

  • “Principe 5 : Partager, apprendre et m’améliorer”, le commentaire oriente surtout sur le développement entre pairs
  • Principe 12 : “Aider la communauté, comme elle m’a aidé” insiste sur la dimension communautaire.

Ces deux pratiques, développement entre pairs et dimension communautaire, sont plutôt bien appliquées dans la communauté agile. Sont-elles suffisantes ?

Agile Alliance

Le code d’éthique de l’Agile Alliance évoque clairement le développement professionnel dans le principe 3 – Introspection and continuing professional development :

  • I will engage with a peer group or mentor to explore ethical and other challenges in my agile coaching work.
  • I will seek to improve my self-awareness and effectiveness through introspection and professional development.

Sont mentionnés comme moyens de développement professionnel, le travail sur soi (introspection), les groupes de pairs et le mentoring.

Le mentoring est notamment historiquement promue par la fédération de coachs ICF, la plus représentée dans le monde anglo-saxon. L’objectif est de soutenir le coach au travers de son processus de certification :

ICF définit le mentoring comme une relation de soutien professionnel visant à obtenir et mettre en évidence les niveaux de compétences de coaching, selon le niveau de certification souhaité par le coach.

https://www.coachfederation.fr/ressources/mentoring-icf-ou-mentor-coaching-devoirs-et-competences/

Il est intéressant de comparer avec ce que disent d’autres fédérations de coachs professionnels, par exemple la SFCoach créée en France :

Comme la plupart des métiers d’accompagnement, le coaching professionnel implique le recours à un dispositif de supervision. Il s’agit d’une démarche de croissance, (voire « d’hygiène ») et de professionnalisation du coach au service du (des) coaché(s). La supervision est inscrite dans le code de déontologie de la SFCoach

https://www.sfcoach.org/supervision

Note : je trouve dommage cette restriction de la supervision “au service des coachés”. Elle est pour moi autant au service du coach que des différentes parties impactées par le coaching, c-à-d pas seulement les coachés.

La SFCoach précise explicitement :

La supervision repose sur une démarche contractuelle spécifique : le superviseur du coach ne peut être ni son formateur (au coaching ou autre), ni son thérapeute, ni un pair (collègue ou associé).

Un Groupe d’Échange de Pratique ne saurait donc tenir lieu d’un espace de supervision.

https://www.sfcoach.org/supervision

Quelques exemples de réflexion

Comment nourrir son processus d’introspection ? Utilisons la question de Steeve pour partager quelques exemples de réflexions et d’explorations possibles…

“En tant que coach agile, doit-on coacher au sein d’organisations qui ne seront jamais agiles ?“

Steeve Evers

Questionner la question ?

Steeve formule son interrogation sous la forme d’une question fermée.  Cela induit un positionnement basé sur l’opinion (“moi je pense que”) et suscite un débat entre les partisans du pour ou et du contre. 

C’est le fonctionnement habituel des journalistes dans les différents médias et ça marche très bien pour attirer l’attention sur LinkedIn: la preuve je suis en train d’écrire une réponse 🙂

La question fermée est moins adaptée pour susciter la réflexion, ouvrir des options et permettre de déterminer des conduites adaptées à différents contextes.

Un travail de reformulation en question ouverte s’impose pour cela.

De quoi parle-t-on ?

Développer sa compétence d’introspection passe par s’entraîner à repérer et questionner les implicites ou pré-suppositions. L’intention n’est pas de les juger, mais de les éclairer pour les proposer en pistes éventuelles d’approfondissement…

La question prend pour acquis un certain nombre d’éléments :

  • elle suppose connue et partagée une définition « d’une organisation agile »;
  • elle pré-suppose qu’il existe un moyen fiable et reconnu d’évaluer « l’agilité d’une organisation »;
  • elle implique que la définition « d’une organisation agile » est globale, c-à-d ne dépend pas du contexte, des spécificités de l’entreprise en question;
  • elle pré-suppose une position haute du consultant par son expertise sur « l’organisation agile », expertise seule à même de déterminer ce qui est bon (et donc moral) pour l’organisation;
  • elle part d’un paradigme de prédiction, l’organisation « ne sera jamais », questionnable sous l’angle de la complexité;
  • elle pré-suppose « agile » comme un but, un état. Souvenez-vous du principe 9 d’Agnostic Agile : « Me rappeler que l’agilité n’est pas le but ultime »;
  • etc.

Une hypothèse de travail consiste à se dire que toute croyance est une limite et à s’interroger sur ce que cette croyance nous empêche de percevoir, d’envisager, de faire…

La formulation de la question peut aussi être envisagée comme la tentation de toute puissance du coach, illusion qui ne peut qu’être démentie ultérieurement par la réalité de l’accompagnement.

Qui parle ?

La question commence par « En tant que coach agile », elle ouvre donc la question de l’identité, qu’est-ce qu’un « coach agile » ? Qui suis-je en tant que « coach agile » ?

J’explore ces questions dans mon eBook « Coach agile, qui es-tu ?« .

Michael White, dans l’approche narrative, propose de considérer que l’identité est une construction sociale. A sa suite, nous pouvons nous demander en quoi la question posée est importante pour moi ? Qu’est-ce qu’elle dit de moi, de ce qui est précieux pour moi ? Qu’est-ce que je cherche à honorer au travers de ma prise de position ?

Dans les séminaires du type Thalass’Agile, je propose aux participant(e)s un travail inspiré par cette approche…

Le travail sur les objectifs

Cette question positionne l' »organisation agile » comme l’état désirable à atteindre (*). Un coaching s’effectue sur des objectifs, il ‘agirait alors explorer la nature des objectifs : sont-ils atteignables ou pas. Le coach mobilise ainsi son expertise et son éthique sur une question explicite.

La réponse n’est plus affaire d’opinion binaire, mais devient un travail d’élaboration d’objectifs.

(*) pour une réflexion sur la notion d’état dans le changement, se reporter à l’article « le vocabulaire du changement« .

Qui est mon « client » ?

Nous avons déjà mentionné la confusion entre client et commanditaire.

Dans son code de déontologie, l‘ICF prend soin de bien distinguer ces deux acteurs :

  • Client :  la personne ou l’équipe / le groupe coaché, le coach mentoré ou supervisé, ou le coach ou étudiant en formation. 
  • Commanditaire : l’entité (y compris ses représentants) qui finance et / ou organise, ou définit les prestations de coaching qui doivent être fournis. 

Dans le domaine du coaching, ce sujet du « client » a déjà été exploré depuis de nombreuses années.

Comme le rappelle François Balta, superviseur systémicien, dans son GPS-2017-10bis sur Jacques-Antoine MALAREWICZ, “un systémicien hors du commun” : 

“Le rappel de la hiérarchie des clients dans le coaching professionnel

C’est un apport que je trouve important dans la mesure où les coachs ont souvent, pour ne pas dire presque toujours, tendance à considérer que leur client est le coaché, et que la confidentialité des entretiens est une condition déontologique forte. Ils oublient qu’effectivement leur premier client est « l’entreprise », entité abstraite qui n’est pas douée de parole mais qui s’exprime par la voix du commanditaire (DRH ou N+1).”

François Balta

J-A Malarewicz, superviseur systémicien, présente en effet dans “Réussir un coaching grâce à l’approche systémique (2003)” cette idée, choquante pour nombre d’accompagnateurs, que son premier client n’est pas la personne ou l’équipe en face de lui, mais l’organisation qui paye l’intervention.

Dans tous les cas, l’entreprise est la première cliente, tout simplement parce qu’elle paye le consultant. Dans tous les cas, le coaché est le dernier client du coach parce qu’il n’est que la porte d’entrée, que le consultant emprunte, pour pénétrer dans la complexité de l’entreprise. Les difficultés du coach viennent habituellement du fait qu’il se met – ou est mis – dans des conflits de loyauté entre ses divers clients.

J-A Malarewicz

Utilité d’un espace-temps dédié à l’introspection

Il n’est pas forcément facile de se livrer seul à ces exercices d’introspection qui demandent de ralentir le flux jusqu’à l’arrêt sur image : c’est la valeur que peut apporter le superviseur. Ainsi, à la différence du coaching, la supervision est moins le lieu d’élaboration de la réponse que d’un questionnement sur le processus d’élaboration de cette réponse.

Je conclurai avec cette définition de Denis Bismuth, superviseur, qui me parait tout à fait appropriée au sujet traité dans cette série d’articles :

La supervision est un espace dans lequel l’acteur prend comme objet de son travail la manière dont il décide du sens de son environnement et dont il décide de son action.

Denis Bismuth

Je remercie Steeve pour le souci de professionnalisation de la communauté agile qu’il manifeste au travers de ses partages et je vous remercie d’avoir eu la curiosité de me lire… Avec le désir de contribuer à mon tour à la professionnalisation des acteurs du changement !

Vous pouvez retrouver d’autres articles sur la supervision sur ce site ainsi qu’un eBook en téléchargement. je vous conseille particulièrement :

https://ckti.com/2021/12/20/supervision-des-agilistes-1-centre-agile-et-frustration/
https://ckti.com/2021/12/21/supervision-des-agilistes-2-un-espace-temps-pour-soi/

Image par Сергей Шабанов de Pixabay 

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