1) Un questionnement posté le 17 aout sur LinkedIn par Steeve Evers
Vous pouvez consulter le post de Steeve et les commentaires que cela a sucité sur ce lien : https://www.linkedin.com/posts/steeve-evers-b7343928_pour-donner-suite-%C3%A0-un-post-de-martial-segura-activity-6965701512782127107-XBF4
Dans son post, Steeve livre sa réponse à cette question en argumentant sa position.
Même si la formulation de la question m’apparait discutable, il m’a semblé que le sujet méritait quelques développements qui se sont avérés requérir plusieurs articles !
Dans un premier article, je considérerais que cette question relevait de l’éthique ou de la déontologie. Je proposais une distinction entre ces deux termes.
Dans cette deuxième partie, intéressons-nous à ce qui existe dans la communauté des “coachs agiles” pour nourrir leur réflexion dans ce domaine. Je prends l’exemple d’Agnostic Agile et du code d’éthique de l’Agile Alliance…
2) Les engagements d’Agnostic Agile
La déclaration d’intention proposée par le mouvement Agnostic Agile en 2017 parait pouvoir constituer une base minimale de réflexion sur ce que pourrait être la déontologie d’un “coach agile”.
Si vous le pouvez, préférez la version originale en anglais, car la traduction française introduit des spécificités discutables. Exemples :
1)
I will put my customer’s interests first, because that is what I have been hired to do
devient
Je vais donner priorité aux intérêts de mes clients, parce que c’est la raison d’être de mon travail.
Ce qui éclipse la notion fondamentale du mandat au profit d’une raison d’être subjective de l’agiliste, pas du tout la même chose.
3)
I ‘pull in’ what the customer needs, rather than ‘push’ what may not be needed.
devient
Je serai à l’écoute des besoins de mes clients, plutôt que de tenter de leur imposer ma volonté.
Là encore la traduction s’auto-centre sur le coach agile (reflet inconscient d’un fantasme de toute puissance fréquemment rencontré dans la communauté ?) quand la version originale parle de l’adéquation avec les besoins en englobant potentiellement les solutions imposées par l’entreprise et pas seulement celles relevant de la volonté du consultant.
Application
Plusieurs des 13 principes proposés peuvent résonner avec la problématique qui nous concerne dans cet article, exemples :
Principe 1 – Donner priorité à mes clients et favoriser leur indépendance
“Je vais les aider à comprendre profondément la mentalité, les principes et les valeurs agiles, plutôt que de leur expliquer simplement les caractéristiques des cadres.”
Principe 3 – Adapter l’agilité au contexte
“l’intelligence émotionnelle et la compréhension du contexte du client et de ses niveaux de maturité pourraient l’emporter sur l’adoption d’une méthode ou d’un cadre donné, ou d’un aspect de ces derniers, et ce, même si cette méthode ou ce cadre, ou l’un de leurs aspects, représentent ‘la façon de faire la plus agile’. Je serai à l’écoute des besoins de mes clients, plutôt que de tenter de leur imposer ma volonté.”
Principe 9 – Me rappeler que l’agilité n’est pas le but ultime.
« Je me rappellerai que des pratiques agiles ne garantissent pas de meilleurs résultats pour mon client et que, dans certains cas, d’autres approches plus traditionnelles pourraient être mieux adaptées au climat et contexte du moment. »
Inconvénient d’une déontologie, il n’est pas possible de la choisir à la carte !
Un “coach agile” ne peut pas être signataire d’Agnostic Agile et décider que les principes 3, 7 et 13 ( au hasard) ne lui conviennent pas. Il peut ainsi se retrouver dans des conflits entre la déontologie qu’il a adoptée et son éthique personnelle. Ce type de situation peut s’explorer dans le cadre d’une supervision, c’est ce que décrit Martine Volle pour le coach professionnel dans “La Bible de la supervision de coaching” (ed. Eyrolles) :
“Les coachs sont régulièrement tiraillés entre leur engagement à respecter le code déontologique élaboré par leur association professionnelle et leur éthique, composée de leur systèmes de valeurs personnelles.”
Martine Volle (2020 p102)
Une portée malheureusement très limitée
Ce ensemble d’engagements constitue-t-il une déontologie ? D’après la définition, une déontologie est un ensemble des règles et des devoirs régissant une profession. Il manque sans doute la dimension “régissant une profession” pour pouvoir parler de déontologie :
- « coach agile » n’est pas une profession reconnue, au sens RNCP;
- il n’existe pas d’autorité de régulation vers qui se tourner en cas d’infraction à la déontologie.
Comme le mentionne l’excellent article partagé dans le premier blog, dans le cas d’une déontologie :
“Une autorité est chargée de faire respecter les règles et d’imposer des sanctions en cas de dérogation.”
J’ai été personnellement signataire N° 782 d’Agnostic Agile il y a quelques années (début 2018 ?). A la date de rédaction (18 aout 2022), il n’y a encore que 2 588 signataires référencés sur le site. Je n’ai aucune idée du nombre de “coach agile” dans le monde, mais à titre de comparaison l’Agile Alliance revendique une communauté de 72 000 personnes !
Ce type de considération reste donc encore très minoritaire dans la communauté agile au regard de l’intérêt pour les frameworks, pratiques, outils…
Des travaux méconnus de l’Agile Alliance
Consciente des lacunes dans le domaine de l’éthique et de la déontologie, l’Agile Alliance a mené une réflexion pour définir un code éthique de conduite : “Agile Coaching Ethics Initiative”.
“Le manque de cohérence dans la discipline du coaching Agile et l’absence de cadre éthique ou de code de conduite pour cette profession est devenu un problème brûlant pour nous et qui, selon nous, relève de l’Agile Alliance.”
Agile Alliance
Vous pouvez trouver une publication sur https://www.agilealliance.org/resources/initiatives/agile-coaching-ethics/ et le double résultat de cette initiatve :
1) le code de conduite éthique en 9 engagements : Code of Ethical Conduct
2) les scénarios d’éthiques du coaching : Coaching Ethics Scenarios (déclinés par engagement)
C’est une excellente idée d’avoir fourni des scénarios, illustrant pour chacun des engagements des cas de conformité ou de non respect ainsi que des cas plus flous où une réflexion supplémentaire est requise. La lecture de ces scénarios est fortement recommandée pour s’imprégner de l’esprit des 9 engagements.
La réflexion du groupe de travail a été en grande partie nourrie par les codes de déontologie des fédérations de coachs professionnels et peu des 9 engagements sont finalement spécifiques au coaching agile.
Le code mentionne explicitement un point important non abordé jusqu’ici pour justifier l’adoption d’une déontologie ou d’un code éthique : « vous pouvez le fournir à l’appui de vos décisions à vos clients. »
En effet, là où la décision éthique vous laisse seul à défendre votre position en référence à vos valeurs, le code ou la déontologie s’appuie sur une communauté. Ce n’est plus vous en tant qu’individu qui prenez une position potentiellement attaquable, mais une communauté qui a réfléchi, statué et assumé un engagement : la déontologie est là pour protéger le consultant autant que le client !
Application
Plusieurs thèmes peuvent recouper le sujet de cet article et pourrait constituer le point de départ d’une réflexion sur la réponse à apporter à la question de Steeve. Exemples :
Dans le préambule, « tous appliqués avec un parti pris ouvert et délibéré en faveur de l’utilisation d’approches agiles pour aider à répondre aux besoins du client. »
A mettre en questionnement avec la proposition 2, ci-dessous.
- Agir selon mes capacités
Je serai transparent avec le client si je pense qu’il a besoin d’une autre forme d’aide professionnelle.
- Introspection et développement professionnel continu
Je m’engagerai avec un groupe de pairs ou un mentor pour explorer les questions éthiques ou autres dans mon travail de coaching agile.
- Gérer les conflits d’intérêts
J’éviterai consciemment les situations où je trouve un bénéfice personnel au détriment du client et des parties prenantes afin de pouvoir maintenir un jugement professionnel et une réflexion objective.
Note : le « bénéfice personnel » peut-il par exemple commencer avec la priorisation de mes valeurs et objectifs au détriment en particulier des « parties prenantes », dont l’organisation qui finance mon travail ?
- Assurer la valeur de la relation
Je serai transparent avec le client si je crois que la valeur de la relation est en baisse.
7. S’accorder sur les limites
Je veillerai à ce que nous ayons un périmètre convenu ensemble, même si celui-ci évolue.
Je travaillerai avec le client pour comprendre ses besoins et éviter d’imposer des solutions basées sur mes préférences et désirs personnels.
Je confronterai ouvertement mon client s’il poursuit des objectifs en contradiction avec les valeurs et principes du Manifeste Agile.
Note : Une lacune importante de ce code consiste à ne pas définir ce qu’est un « client ». Nous verrons dans l’article suivant que les déontologies de coach professionnel distinguent le client du commanditaire. Cette distinction est indispensable.
Cette proposition de l’Agile Alliance est améliorable. Je vous suggère par exemple de vous reporter aux propositions de Mishkin Berteig dans son article AGILE COACH CODE OF ETHICS (2021).
Déontologie ou Code éthique ?
Comme pour les engagements d’Agnostic Agile, en l’absence d’autorité de régulation, il ne s’agit pas là d’une déontologie.
L’Agile Alliance ayant été fondé pour promouvoir le manifeste agile, il est logique que celui-ci figure explicitement dans ce code. Cependant, cela fige le référentiel dans le temps et peut rebuter l’adoption par certain(e)s qui jugeraient le cadre daté et non évolutif à la différence d’Agnostic Agile par exemple.
Et vous sur quoi basez-vous vos réflexions en cas de questionnement éthique ?
Dans le prochain article, je discuterai la question de Steeve du point d’un coach professionnel et d’un superviseur.
A suivre 🙂
Image par Tumisu de Pixabay
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