Nadjat Attoumane pose la question de savoir 𝘀𝗶 𝗹’𝗔𝗴𝗶𝗹𝗲 𝘀’𝗮𝗽𝗽𝗹𝗶𝗾𝘂𝗲 𝘂𝗻𝗶𝗾𝘂𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 au secteur de 𝗹’𝗜𝗧 (𝘁𝗲𝗰𝗵𝗻𝗼𝗹𝗼𝗴𝗶𝗲𝘀 𝗱𝗲 𝗹’𝗶𝗻𝗳𝗼𝗿𝗺𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻)🤔 ?
(cf. lien en commentaire)
Laurent Bossavit lui répond :
« Est-ce qu’on peut s’inspirer des idées du mouvement Agile, qui est né dans le logiciel, pour opérer des améliorations dans d’autres secteurs ? «
Laurent Bossavit
Cette question revient périodiquement et, comme souvent pour une question récurrente, se nourrit d’un flou dans les concepts utilisés.
De quoi parle-t-on ?
Nadjat et Laurent se réfèrent au terme « Agile », issu du “manifeste agile pour le développement logiciel” de 2001 (M.A.D.L.).
Il semble que la référence à ce manifeste, précisant dans son titre « pour le développement logiciel », donne raison à Laurent, il est bien « né dans le logiciel ».
Cela revient cependant à imaginer que, par une espèce d’épiphanie, 17 apôtres présents à Snowbird auraient inventé quelque chose de radicalement nouveau et sans aucun lien avec ce qui existait avant.
C’est négliger, entre autres, que le terme « agile » a été emprunté par Mike Beedle au manufacturing (cf. l’article de Pierre Neis en commentaire), que nombre d’approches des « lightweight methods » représentées ces jours-là étaient inspirées, par exemple, du Lean et des systèmes complexes adaptatifs (C.A.S)…
Non, le manifeste de 2001 ne provient pas d’une espèce de monde à part que serait « le logiciel » inventant des idées radicalement nouvelles. Il s’inscrit dans une temporalité de la connaissance, tout en l’appliquant à un champ d’application spécifique.
“Individuals and interactions over processes and tools”
Dans la formulation « plutôt que » (over en anglais), je propose de voir le reflet d’une pensée non binaire, invitant à rééquilibrer une *polarité* entre chacune des quatre « valeurs » évoquées. Cette formulation serait l’invitation à déplacer le point d’équilibre d’une tension irréductible entre incontournable émergence (« Les individus et leurs interactions ») et nécessaire organisation (« processus et aux outils ») pour agir avec efficience.
Des pistes pour agir dans la complexité
Dans ma conférence « 30 ans d’agilité…et après ? », j’élargis les 4 valeurs du M.A.D.L., effectivement appliquées dans le texte au développement logiciel, à un reflet de 4 propriétés des systèmes complexes :
1) « Individuals and interactions over processes and tools »
👉 les systèmes sociaux humains sont complexes et présentent des propriétés émergentes qui ne peuvent être capturées dans des processus et outils figés
2) “Working software over comprehensive documentation”
👉 Le complexe étant indescriptible et évolutif, les boucles de feedback sont indispensables pour nourrir le “learning by doing” (John Dewey – 1916)
« La connaissance s’acquiert par l’expérience, tout le reste n’est qu’information. »
Albert Einstein
3) « Customer collaboration over contract negotiation »
définition d’un système : “ensemble d’éléments en interaction dynamique, organisé en fonction d’un BUT”
Joël de Rosnay
👉 Dans sa définition d’un système, Joël de Rosnay nous rappelle qu’un système (ici “fournisseur – client”) possède une finalité qui organise dynamiquement les interactions.
4) « Responding to change over following a plan »
« L’autopoïèse est la propriété d’un système de se produire lui-même, en permanence et en interaction avec son environnement »
Niklas Luhmann
👉 L’adaptation est inévitable, en raison d’un changement permanent provenant à la fois du contexte et de l’intérieur du système considéré.
Le manifeste : un portail vers l’agir dans la complexité
Ainsi, le manifeste agile de 2001 peut se concevoir comme une concrétisation à un moment donné, dans un contexte donné, d’un mouvement de pensée beaucoup plus large. J’invite à le considérer comme une introduction (partielle) à une culture de la production nécessaire dans un environnement assumé comme complexe.
J’utilise le terme de “portail” pour symboliser l’idée de ne pas se limiter à ses 4 valeurs et 12 principes et à continuer de découvrir la pensée complexe, de Snowden à Edgar Morin, en passant par Ralph Stacey et bien d’autres…
A ce titre de “portail vers l’agir dans la complexité”, déconnecté de toute pratique comme l’ont voulu ses auteurs, ce que l’on rassemble sous le terme “Agile” parait susceptible d’inspirer la réflexion dans d’autres domaines d’activité.
Je préfère alors distinguer “agilité” i.e approche de la production de valeur dans la complexité, « d’Agile-IT », ensemble de pratiques du monde logiciel plus ou moins datées.
En résumé, Nadjat et Laurent, oui, le manifeste est daté et contextuel et oui il reflète et dépasse son champ d’apparition…
Post initial de Nadjat ATTOUMANE
Agile manifesto for Software Development : https://agilemanifesto.org/
Un autre post de Nadjat : « l’Agile n’est pas une méthode » https://www.linkedin.com/posts/nadjat-attoumane-agile-leadership-coach_lagile-nest-pas-une-m%C3%A9thode-activity-7029435718212976640-5ywT
Qu’est-ce que l’agile? de Pierre Neis : https://www.linkedin.com/pulse/quest-ce-que-lagile-pierre-e-neis/?originalSubdomain=fr
Learning by doing : https://en.wikipedia.org/wiki/Learning-by-doing
30 ans d’agilité, et après ? (version Tunis 2022) : https://ckti.com/2022/12/04/une-boussole-pour-votre-agilite/
(vidéo à publier…)
Mini-série « les points sur le i d’Agile » :
https://ckti.com/2021/11/11/les-points-sur-le-i-dagile-episode-1-les-origines/
https://ckti.com/2021/11/11/les-points-sur-le-i-dagile-episode-2-produit-ou-transfo/
Photo de Tianshu Liu sur Unsplash