Sortir de la Double Contrainte : Le Cas de Jeanne

Double contrainte, Méchante Connotation Positive et Reflet systémique

Comment Jeanne se retrouve-t-elle pris au piège ?

Dans un article précédent je relatais un cas de supervision où Jeanne, intervenante en Analyse de la Pratique, parvenait à sortir d’un sentiment d’épuisement et d’impuissance en formulant une Méchante Connotation Positive (MCP) à son groupe. La mise en mots sincère et structurée de son ressenti avait permis de relancer une alliance avec les participantes, en rendant visible un malaise jusque-là partagé mais inexprimé.

Que se passe-t-il pour se retrouver dans ce type de situation ?
Comment une intervenante en vient-elle à douter d’elle-même, à en vouloir au groupe, tout en continuant malgré tout à essayer de “tenir” le dispositif ?
Et en quoi la MCP permet-elle non seulement de retrouver de la justesse, mais aussi de remettre en circulation des tensions systémiques plus larges ?

Cet article propose un éclairage de croiser la pratique de la MCP avec deux concepts importants de l’approche systémique : la double contrainte et le reflet systémique.
L’intention est de mieux comprendre ce qui rend certaines situations aussi inconfortables — et aussi précieuses, si on parvient à les utiliser comme une source d’information sur la situation.

De la sensation d’inconfort à une MCP

Tout commence avec la sensation d’inconfort ressenti par l’intervenante, souvenez-vous de la plainte de Jeanne :

« J’en ai marre… je me sens nulle… j’ai l’impression de tirer le groupe à la rame depuis des mois. Ils ne parlent pas, ou à peine. Et en plus, je sens que je commence à leur en vouloir. C’est lourd. »

Ce ressenti l’amène à ce que François Balta nomme une atteinte au cadre implicite, c-à-d à abîmer la relation d’accompagnement. En clair, Jeanne commence à rendre les autres responsables de son inconfort et à leur en vouloir…Ce qui se passe est de leur faute !

Les conditions sont réunies pour se poser la question d’élaborer une MCP : 

a) pour sortir de la disqualification

b) en faire une ressource d’accompagnement

C’est ce que nous avons vu dans l’article précédent. Ici, nous allons examiner si Jeanne se trouve dans ce que l’on nomme une “double contrainte”…

Hypothèse de double contrainte

Quoique ce concept ne soit pas explicitement mentionné dans la pratique de la MCP, le constat “mon inconfort + j’en rends les autres responsables” peut amener à envisager la perception d’une double contrainte. (La double contrainte n’est pas une réalité, mais une perception de la situation par le sujet).

Rappelons que selon Annick Ancelin-Bourguignon, une double contrainte doit vérifier 4 conditions :

4 conditions d’une double contrainte

Vérifions ces 4 conditions sur le cas de Jeanne. Comment Jeanne perçoit-elle ces quatre aspects ?

a) contradiction persistante (paradoxe)

“je dois animer en partant des problèmes des participant(e)s mais personne ne réagit”.

Comment m’appuyer sur les situations si personne ne participe ? Je suis coincée !

b) punition (réelle ou perçue)

si je n’y arrive pas, je serai punie :

– par moi-même, je me jugerai incompétente par rapport à mon idéal professionnel
(voir mon article Les limites à l’auto-évaluation en Coaching et Management)

– par le commanditaire qui ne renouvellera pas la prestation et donc par mon client qui ne fera plus appel à moi pour de l’animation

c) relation vitale

j’ai besoin de travailler et si je perds mon principal client, je serai en grande difficulté financière. De plus, mon estime de soi sera tellement atteinte que j’aurai du mal à rebondir => je dois réussir !

d) impossibilité de commenter : 

Son client lui dit “il faut continuer pour conserver ce compte”, la RH l’encourage, “elles ont des situations”, Jeanne se dit : “je ne peux en parler à personne, j’ai déjà essayé de créer la relation avec les participant(e)s, ça n’a rien donné. Si je recommence, elles vont me prendre pour une pleurnicharde incompétente et ce sera encore pire ! Je ne sais plus quoi faire !”

Il semble bien que Jeanne se perçoive coincée dans une double contrainte.

Comment en sortir ?

La théorie (Gregory Bateson) nous dit que l’on sort d’une double contrainte en méta-communiquant, c-àd en communiquant sur la communication. 

Facile à dire monsieur Bateson, je fais comment en pratique ?

C’est là que la MCP prend tout son intérêt en offrant un canevas pratique de communication, respectueux à la fois de mon ressenti et des difficultés rencontrées par les autres participant(e)s à la situation.

Et le reflet systémique ?

La MCP invite Jeanne à faire l’hypothèse que ce qu’elle ressent lui donne une information sur ce qui se joue dans le système.

Elle la met ainsi en quête d’un reflet systémique. L’expression de ce reflet (la résonance pour Mony Elkaïm) fait partie intégrante de la MCP…

Face à un inconfort, la MCP devient un outil de méta-communication, qui repose sur une hypothèse : l’inconfort que je ressens reflète une tension du système dont je fais partie et qui, compte-tenu de mes enjeux, m’amène à percevoir la situation relationnelle comme une double contrainte.

Conclusion

L’élaboration d’une MCP ne nécessite pas d’avoir en tête les concepts de double contrainte ou de reflet systémique.
Mais le cas de Jeanne nous montre comment ces notions peuvent éclairer l’enjeu relationnel que traverse l’intervenante.

En reconnaissant son ressenti comme indice d’un paradoxe relationnel vécu à plusieurs niveaux, et en choisissant de le mettre en mots d’une manière authentique mais non accusatoire, l’intervenante sort de l’impasse.

Elle ne “dénonce” pas le système, elle rend visible des processus de communication.

En soutenant le cadre tout en honorant la complexité, Jeanne s’autorise à redevenir un sujet engagé dans la relation. Sa posture invite les autres à métacommuniquer sur les tensions à l’œuvre dans le système…


Pour aller plus loin

Formateur pris au piège de la double contrainte : un exemple de double contrainte et une présentation de l’origine du concept

Au secours, un participant chante pendant mon atelier : un exemple de MCP et les origines de l’outil

Transformer l’Impuissance en Ressource : un Cas Pratique : un autre exemple de MCP

S’entraîner à débusquer un « reflet systémique » : un exemple de reflet systémique et des références pour explorer ce concept

Les limites à l’auto-évaluation en Coaching et Management : les  quatre formes auto-évaluatives identifiées par Anne Jorro
Quand l’engagement nous piège…en particulier les pièges de l’intuition altruiste

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