Accompagner le management vers l’agilité

Article initialement paru sur le blog de Goood! (2017)

Le lancement d’une « transformation agile » au sein d’une entité impacte directement la relation entre les équipes en charge de la réalisation et leurs managers. Nouvelle organisation d’équipe (équipe pluri-disciplinaire), nouveaux modes de management (auto-organisation, transparence accrue), nouvelle conception de la gestion de la capacité (limite du travail en cours, notion de slack), bousculent les interactions.

La plupart du temps l’accompagnement des managers est négligé, ce qui, au mieux, les laisse en dehors de la transformation, au pire les braque contre l’initiative de changement.

Lorsque le sujet est pris en compte, une solution automatique est souvent appliquée, du type : “envoyons les managers deux jours en formation Management 3.0, ça a l’air sympa et c’est tendance”.

Cet article explique comment le coaching agile peut accompagner les managers dans leur propre transformation, afin qu’à leur tour ils deviennent agents de transformation auprès de leurs équipes…

Management complexe par Nicolas Verdot (Agile Rocket Guide)

Slack : ne pas charger une ressource à 100% pour lui laisser une marge d’adaptation aux imprévus, cf. l’excellent livre Slack de Tom DeMarco (http://www.systemsguild.com/Slackpage.html)

Comment maximiser ses chances d’échec ?
1) Considérer d’emblée les managers comme des parasites nuisibles, dénués de tout intérêt et qui doivent disparaître au plus vite
2) Ne pas inclure dès le départ la couche managériale dans la stratégie de transformation
3) Mener la transformation en mode « best effort », en n’intégrant ni l’effort nécessaire pour le changement, ni la durée indispensable à son ancrage durable.

Préliminaire

Dans ce texte, par souci de simplification, l’expression « coach agile » est utilisée pour désigner une personne ou une équipe de coaches dont la mission est de “rendre plus agile” l’entité où ils interviennent. Expliciter ce que signifie “rendre plus agile” devrait être l’objet des premiers entretiens de la phase de cadrage !

Différentes approches en coaching agile

Management “traditionnel” basé sur l’autorité hiérarchique

Les contextes sont complexes et variables suivant les entités. Néanmoins, lors de l’arrivée d’un coach agile devant accompagner des équipes, la situation ressemble souvent à la description suivante.
Ce qu’on appelle « équipe » n’est qu’un groupe d’individus, sans mission commune, ni interactions génératives, c-a-d apportant plus de valeur que la somme des actions individuelles. Le manager gère individuellement chaque personne, renforçant le fonctionnement en solo. Les collaborateurs ne prennent pas d’initiatives et escaladent les décisions vers le manager qui fonctionne en posture très haute : mode « hero-leadership ». La motivation est extrinsèque (« carotte et bâton ») et le travail s’effectue en mode contraint, avec soumission à une bureaucratie envahissante, imposant moultes “reportings” dénués de sens pour les collaborateurs. Les conflits sont larvés, il ne faut pas que les émotions s’expriment, le véritable dialogue se produit rarement.

Approche centrée sur l’équipe

Coaching “traditionnel” centré sur l’équipe

Dans cette approche, le coach se focalise sur le développement de l’agilité de l’équipe, souvent au travers de formats pré-définis comme Scrum ou Kanban. Le coach travaille à transformer le groupe en équipe auto-organisée. Il prend le leadership sur le groupe et n’a pas de stratégie spécifique vis-à-vis des managers en place, qui peuvent même être considérés d’emblée comme des vestiges du passé voués à disparaître.

Risque potentiel et dérive observée

S’insérant entre le manager et l’équipe, le coach agile risque de :

  • déposséder le manager de son pouvoir, de son influence sur le travail de l’équipe, de son territoire virtuel.
  • déposséder l’équipe de son sentiment d’appartenance au reste de l’entreprise en renforçant une vision auto-centrée. En centrant son action sur l’équipe comme système fermé, il contribue à déconnecter l’équipe du système englobant.

Le manager ne trouve plus sa place, n’en voit pas de nouvelle clairement définie, s’inquiète. Il entre en résistance contre la transformation et le coach, vecteur de ce bouleversement existentiel. La réaction est forte car le manager est atteint dans son identité, souvent construite au travers des années de performance.

Identité : cf.le modèle des niveaux logiques de Dilts dans le chapitre “Culture agile” de l’« Agile Rocket Guide »

Approche d’accompagnement “Manager as a coach”

Coaching d’accompagnement du manager

Le coach travaille à transformer le groupe en équipe auto-organisée. En amont, il prend le temps de nouer la relation avec la couche managériale et de co-construire avec eux la dimension tactique de la transformation, avec par exemple des démarches du type “Lean Change management” décrites par Jason Little.

La mutation du manager

En parallèle du travail avec l’équipe, le coach accompagne les managers à comprendre la transformation, les nouveaux rôles à jouer et les changements de posture requis. Il aide les managers à faire le deuil des anciens modes de fonctionnement, cf. « Petits deuils en entreprise » de Jacques-Antoine Malarewicz.

Pour illustrer l’importance du changement à l’œuvre, le coach explicite par exemple le modèle d’Hudson :

HierAujourd’hui
Stabilité – Statu Quo
Deux périodes dans la vie : l’enfance et l’âge adulte
Changement permanent
Nous évoluons perpétuellement et ce phénomène s’accélère
Évolution linéaire
Lendemains meilleurs grâce à une progression pas à pas, automatique (promotion)
Développement cyclique
Nous construisons notre vie comme un livre, chapitre par chapitre avec des transitions entre les chapitres
Apprentissage uniquement pendant l’enfanceApprentissage constant
Apprendre à apprendre
Vie déterminée par l’environnement social, culturel, religieux…Agir sur son environnement
pro-actif, clarifier ses projets de vie, ses valeurs, sa raison d’être
Modèle d’Hudson

Modèle d’Hudson “Life Launch: A Passionate Guide to the Rest of Your Life” by Frederic Hudson, PhD. and Pamela McLean, PhD.

Puis, le coach décrit les courbes de transformation en U (ou en J suivant les modèles) que traverseront souvent les acteurs du système :

extrait du livre “Theory U changement émergent et innovation”

Du manager au coach

Dès le départ, l’objectif du coach consiste à s’effacer au profit du manager. Celui-ci apprend progressivement à interagir avec son équipe en adoptant une posture « leader as a host » (se référer au “management complexe” dans l’« Agile Rocket Guide »).

Le coach aide également le manager à entretenir et renforcer le sentiment d’interdépendance de l’équipe avec le reste de l’entreprise ( cf. Véronique Messager dans “Coacher une équipe agile”).

Métaphore de l”Agile Rocket”

Le manager acquiert progressivement les compétences nécessaires au coaching de son équipe. Ce sont d’abord celles qui correspondent aux trois modules centraux de l’Agile Rocket (se reporter à l’ « Agile Rocket Guide ») :

  • Coopérer (Management visuel – Impediments Detection)
  • Améliorer (Impediments Solving)
  • Fluidifier (Improving Flow through experimentations)

Ces compétences de base du manager sont complétées par le stabilisateur “Maîtrise personnelle”, appliqué à la fois à lui-même et aux membres de l’équipe. Il est particulièrement important dans ce domaine de travailler la dimension d’exemplarité.

Parcours d’apprentissage

En complément de l’accompagnement individuel sur le terrain, il est souhaitable de proposer aux managers un parcours d’apprentissage collectif. La dimension collective est particulièrement importante pour développer la capacité d’apprenance de l’entité,  comme le montrent les travaux de Takeuchi – Nonaka (La spirale du savoir) et de Peter Senge (se reporter à la bibliographie en fin d’article).
Takeuchi et Nonaka insistent ainsi sur l’importance du management intermédiaire dans le processus de circulation des connaissances :

« un rôle important est attribué aux catégories intermédiaires d’encadrement dans la construction de la spirale des connaissances créatrices dans les organisations, car c’est à eux qu’il incombe d’articuler les idées visionnaires de la haute direction et les pratiques des travailleurs de première ligne. C’est le management milieu-haut-bas. »

Nonaka

Nonaka : la voie japonaise en matière de management des connaissances par Pascal Lièvre

Au-delà de la formation

Les formations traditionnelles ont montré leurs limites. Quels que soient leurs qualités, le talent du formateur et la satisfaction des participants au sortir d’une ou deux journées, l’impact est limité. Dès le lendemain, sous la pression du quotidien, les managers retournent à leur fonctionnement habituel.

Règles de réunion

Pensez à toutes les formations sur la conduite de réunion, aux affichages de de bonne conduite dans les salles : avez-vous déjà constaté un impact sur la manière dont se déroulent les réunions ?

Ce manque d’impact est renforcé par le fait que la formation n’est ni préparée (souvent les managers débarquent en mode touriste, sans bien faire le lien avec une stratégie de transformation), ni suivie (aucun espace-temps ultérieur de mise en œuvre, d’appropriation n’est prévu, le manager a comme préoccupation principale de récupérer au plus vite deux journées de travail « perdues »).

Il n’est pas possible de modifier en profondeur les modèles mentaux en place en si peu de temps. Or, ce sont bien les modèles mentaux qui conditionnent les comportements. Et changer un modèle mental requiert de de la discipline, c-a-d de l’effort et du temps (cf. “Neurosciences et management” de la regrettée Bernadette Lecerf-Thomas).

Un parcours diversifié

Pour obtenir un réel impact, il convient d’aller au-delà des formats classiques en proposant un parcours diversifié :

  1. mixant les formats (blended learning) : formation en présentiel, auto-formation en ligne, tutorat, ateliers de co-développements ;
  2. misant sur la durée : s’étalant sur une durée de 6 mois à un an, le parcours permet la mise en application des nouveaux concepts ;
  3. prévoyant le temps nécessaire à l’expérimentation sur le terrain des nouveaux savoir-faire.

En construisant un tel parcours, on facilite le passage de l’acquisition de nouveaux savoirs vers un réel apprentissage de nouveaux savoir-faire.
Je propose une mise en pratique de cette réflexion dans les parcours d’apprentissage « Manager dans la complexité et l’incertitude » que j’ai pu mettre en place dans différents grands comptes. Voir le REX présenté à Agile en Seine 2019.

Conclusion : respect for the people

Le mouvement des entreprises libérées a popularisé la philosophie du bonheur au travail. L’objectif : libérer les salariés de l’oppression de la structure hiérarchique, héritage obsolète du XIXème siècle, pour redonner une autonomie nécessaire à leur bien-être et à la performance de l’entreprise.
Par idéalisme maladroit (encouragé par une partie de la communauté agile, centrée sur une vision mythifiée de l’équipe) ou opportunisme cynique (certains dirigeants y voyant une belle occasion d’un nième programme masqué de réduction des coûts), la transformation agile est parfois conçue comme une croisade anti-manager et non comme un changement nécessaire du management.  L’amalgame « entreprise libérée- transformation agile » peut alors braquer les managers. Ceux-ci vivent perçoivent l’agilité comme une menace identitaire et entrent naturellement en résistance.

Une transformation agile n’est pas une démarche de libération de l’entreprise. Cette dernière est une théorie philosophique qui ne peut être mise en œuvre que par un patron libérateur, commençant par s’appliquer à lui-même le processus. C’est Isaac Getz (auteur de« Freedom inc. ») qui l’affirme («Chaque entreprise doit inventer son organisation» Le Figaro.fr) :

« L’entreprise libérée est une philosophie qui repose sur des croyances liées à la nature humaine: que les gens préfèrent la confiance au contrôle, que chacun ait des dons, que les hommes et les femmes préfèrent s’autodiriger que d’être dirigés. »
Le dirigeant doit-il croire en ces valeurs pour les appliquer? Il le doit.

Isaac Getz

Si ces initiatives sont très inspirantes, toutes les entreprises ne vont pas être « libérées » et encore moins à l’initiative seule des coaches agiles ! Il convient donc de prendre en considération tout l’impact humain de la transformation en imaginant des approches intégrant le plus harmonieusement possible tous les membres de l’organisation, dont les managers : Respect for the people!

Comment améliorer les êtres sans les gouverner ?

Soyez attentifs à ne pas troubler leur esprit, car l’esprit de l’être humain est ainsi fait qu’il se sent opprimé par toute pression et exalté par toute incitation. Opprimé, il se sent emprisonné ; exalté, il peut commettre des ravages. Souplesse et gentillesse l’emportent sur la dureté et la violence qui gèlent comme la glace ou brûlent comme le feu.

Lao-Tseu IIIe siècle avant JC

Bibliographie

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