Apprendre à surfer pour intégrer les paradoxes en entreprise ?

“Améliorez la qualité ! Mais réduisez les coûts…”

« Développez votre leadership ! Mais respectez les procédures… »

Bienvenue dans le monde des paradoxes organisationnels

Un paradoxe en entreprise, c’est comme vouloir avancer tout en freinant.
On vous demande deux choses opposées, et pourtant, il ne s’agit pas de choisir mais de faire avec.

À l’inverse, un dilemme impose de choisir entre deux options mutuellement exclusives.

Le paradoxe demande de coexister avec deux forces contradictoires…ce qui la plupart du temps ne plonge pas dans un océan de félicité !

“Un paradoxe n’est pas un problème à résoudre mais une tension à gérer.”— Amaury Grimand

D’où le risque :  prendre un paradoxe pour un dilemme et tenter de se débarrasser de l’inconfort de la tension en éliminant une des polarités par une décision, bien entendu éclairée. Risque renforcé par la fascination pour la prise de décision, symbole de l’efficacité du leadership (mythe du nœud gordien).

Les paradoxes ne sont pas une aberration, mais le moteur des dynamiques organisationnelles.

Comment mieux intégrer les paradoxes en entreprise ?

Quelques chercheurs s’intéressent à cette question, dont Amaury Grimand.
Ce professeur à l’IAE de Nantes a dirigé une publication en 2018 dans la revue française de gestion : Paradoxes organisationnels, quelles stratégies ?
(voir les références à la fin de cet article).

Amaury Grimand

La réaction plus courante des organisations consiste à tenter de se défendre contre les paradoxes

Mode défensif : comment on se protège (mal) des paradoxes

“Face aux paradoxes, les organisations ont tendance à les minimiser, les opposer ou les séparer. Mais cela ne fait que déplacer la tension ailleurs.”— Amaury Grimand

Plutôt que d’accepter le paradoxe, les organisations ont tendance à développer des stratégies défensives. Cela ne résout rien à long terme, mais ça apaise temporairement la tension. 

Voici quelques mécanismes fréquents :

1️⃣ Le déni : “Non, non, tout va bien, il n’y a pas de contradiction ici !”

• Exemple : Une entreprise veut être agile mais conserve, voire augmente la rigidité des processus et le cloisonnement des silos (avec des PO issus de la DSI par exemple) sans voir la contradiction.

2️⃣ Le cloisonnement : On sépare les opposés dans le temps ou l’espace.

• Exemple : On confie l’innovation à un petit labo interne pendant que le reste de l’entreprise continue en mode “business as usual”. De manière plus générique, en donnant des objectifs opposés à des équipes distinctes. Ou bien on défend la qualité intrinséque, mais là la priorité, c’est de sortir le produit coûte que coûte !

3️⃣ Le compromis : On adopte un entre-deux tiède qui mécontente tout le monde.

• Exemple : Un manager veut encourager l’autonomie, mais garde une validation de sa part à chaque étape, ce qui frustre tout le monde. La future version du produit introduit une nouvelle fonction réclamée par le marketing, mais développée à la va-vite ce qui la rend inutilisable pour les clients

Ces stratégies permettent de gagner du temps… mais continuent de voir le paradoxe comme un problème à résoudre.

“Plus on cherche à résoudre un paradoxe de manière binaire, plus il se renforce et revient sous une autre forme.”— Amaury Grimand

Le conflit, entre deux personnes (PO et équipe de développement), entre deux entités (DSI et métier), constitue un symptôme fréquent de ce « retour de la vengeance » du paradoxe !

D’où une quatrième réaction : 

4️⃣ l’oscillation : On oscille entre deux pôles sans jamais les intégrer.

• Exemple : Une organisation alterne entre des phases de centralisation et de décentralisation, sans jamais trouver un équilibre durable.

“faire et défaire, c’est toujours travailler” —dicton populaire

Certaines entreprises ne reconnaissent jamais l’existence du paradoxe, elles le vivent en oscillation permanente. Ce phénomène a été étudié et décrit par Barry Johnson, voir en référence…

Stratégies de régulation : apprendre à surfer sur les paradoxes

Plutôt que de les fuir, comment intégrer les paradoxes ? Voici 3 stratégies non exclusives

L’acceptation : “Oui, il y a une tension et c’est normal.”

Considérer les pôles opposés comme interdépendants et complémentaires.

• Exemple : Dans l’agilité, on accepte que l’on doive structurer un cadre de travail tout en laissant de la souplesse dans l’exécution des tâches ou planifier des réunions sans en connaître à l’avance le contenu.

La confrontation constructive : Créer un espace de dialogue sur les tensions.

Encourager des débats ouverts pour explorer les tensions et favoriser une compréhension approfondie des enjeux.

• Exemple : Chez Toyota (Lean Management), on met en place le “Genchi Genbutsu” : aller voir sur le terrain pour comprendre les réalités afin de nourrir la cohabitation entre “optimiser la production” et “garantir la qualité”.

La transcendance : Trouver une nouvelle approche qui englobe les opposés.

Dépasser les contradictions apparentes pour faire émerger des solutions innovantes.

• Exemple : Un grand groupe veut garder une culture d’entreprise forte tout en encourageant la diversité. Plutôt que de choisir, il crée un cadre commun flexible, où l’identité s’enrichit des différences locales.
Ou Spotify qui recherche l’innovation en conciliant autonomie locale et gouvernance globale.

Intégrer les paradoxes dans les transformations d’entreprise

“Les organisations qui acceptent et intègrent leurs paradoxes deviennent plus résilientes et innovantes.” — Amaury Grimand

Les paradoxes ne sont pas des obstacles à éviter, mais au prix d’un effort de régulation peuvent constituer des moteurs d’innovation et de transformation.

Pour les acteurs du changement, cela signifie :

Éduquer les équipes à identifier les paradoxes plutôt que de les fuir. Ce qui suppose un travail sur l’inconfort émotionnel.

Créer des espaces de dialogue où les tensions peuvent être explorées collectivement plutôt qu’étouffées. Cela passe par le développement de la compétence à être d’accord de ne pas être d’accord. Et donc le développement de la sécurité psychologique chère à Amy C. Edmondson.

Accepter que la gestion des paradoxes est un processus permanent, pas un problème à résoudre une bonne fois pour toutes.

Je me souviens de ce Directeur de Système Informatique qui me demandait :

— Votre truc d’amélioration continue, là, c’est bien, mais ça se terminera quand ?

Les paradoxes sont comme des vagues : au lieu de s’épuiser à lutter contre elles, apprenons à surfer pour tirer parti de leur force !

« Plutôt que d’apprendre à surfer, la plupart des organisations conventionnelles cherchent à contrôler les vagues. Ça ne marche presque jamais » — Allen Ward

Je propose des supervisions et des accompagnements pour aider les leaders et acteurs du changement à développer une véritable capacité à surfer sur les paradoxes.

Approfondissement

Pour aller plus loin, je vous recommande :

  • Barry Johnson : Polarity Management (2014) – AND (2020)

Je traite également de ce sujet dans ma conférence Paradoxe, résistances, le changement à l’épreuve de la complexité”.

Les merveilleux dessins de Fix : https://www.facebook.com/fixdessinateur

2 commentaires

  1. Bonjour Christophe,

    Le lien sessionize que tu communiques à la fin de ton billet ne semble pas fonctionner, j’obtiens une erreur 404. Cordialement, Loïc SAURET Tél. +33 (0)6 35 32 36 43

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