J’ai été invité récemment par mon collègue Olivier My à animer une matinée sur ce sujet du “courage managérial” pour un collectif d’une quarantaine de managers d’un grand établissement bancaire.
Je vous partage dans une série de deux articles quelques réflexions sur ce sujet tendance…
De quoi parle-t-on ?
“J’ai peur si je lui parle de ça, de faire du micro management.”
un manager
Peur.
Peur de mal faire, peur de prendre une mauvaise décision, peur de porter une mauvaise nouvelle…
Nombre de situations exigent du manager d’affronter ses peurs : est-ce cela le “courage managérial” ?
“Lors de la crise sanitaire, pour que l’agence postale reste ouverte, en tant que responsable d’agence je me suis trouvé confronté à un gros problème : il nous fallait des masques, du gel hydro alcoolique…Impossible de nous les fournir en interne…J’ai pris ma carte bancaire et je suis allé en acheter. C’est interdit. Je l’ai fait quand même, sinon il fallait fermer l’agence.”
un responsable d’agence
Ne pas respecter la règle pour accomplir sa mission quand la situation l’exige : est-ce cela le “courage managérial” ?
Comment se définit ce courage ?
“Le courage managérial consiste à savoir exercer son autorité sans faire preuve d’autoritarisme, c’est-à-dire à encourager ceux que l’on dirige à prendre des initiatives, à s’affirmer de manière à ce qu’ils puissent, autant qu’il est possible, s’épanouir dans leur travail”
https://www.capital.fr/votre-carriere/comment-renforcer-son-courage-managerial-1369338
Belle réponse qui revient finalement à parler de …management.
Mais comment exercer une autorité sans faire preuve d’autoritarisme ? Quels sont les repères auxquels se raccrocher entre nouvelles générations, travail hybride, discours sur l’autonomie, appel à l’intelligence collective, l’agilité, la coopération ?
Dans le doute, peut-être mieux-vaut-il s’abstenir, comme l’exprime cette peur partagée par le premier manager cité…
L’approche habituelle consiste à considérer le courage managérial comme une compétence individuelle et à inciter l’individu à manifester davantage cette compétence dans son comportement quotidien.
Comme nous l’avons illustré en début d’article, qui dit « courage » dit « peur ». Il serait intéressant d‘identifier ce qui cause ces peurs, qui relève de l’organisation du travail, et pas seulement de pousser l’individu à les surmonter.
Et si ça commençait par l’exemplarité ?
J’ai décrit dans un autre article un canevas permettant d’accompagner un manager à réfléchir à la manière dont il modélise lui-même le comportement qu’il attend de ses subordonnés : “Canevas de l’exemplarité : le fait du prince”
Dans cette perspective, chaque manager est responsable, sur l’ensemble de la chaîne hiérarchique, de clarifier et d’incarner les comportements attendus. Cela commence donc par le Top Management…
Cela suffit-il ? Est-ce seulement une question de compétence personnelle, voire de personnalité ?
Une compétence individuelle ?
Par exemple, le site hellowork décrit les comportements par lesquels sera constatée cette attitude de « courage managérial » :
- Savoir dire les choses clairement
- Rester authentique
- Prendre des décisions fermes
“Le courage managérial : c’est quoi concrètement ?” (2021)
Mais, si en restant authentique, donc fidèle à SES valeurs, le manager ne va pas dans le sens de ce qui est attendu par sa hiérarchie ? Les choses que ce manager est supposé dire clairement et les décisions fermes qu’il est censé prendre vont peut-être alors lui être reprochées.
Pas facile de rester authentique dans un monde de « décisions absurdes« , voir les trois volumes de Christian Morel sur ce thème…
Ce sociologue propose de considérer que les décisions absurdes sont les conséquences de processus collectifs. Sortir de ces processus demande donc des changements collectifs et pas simplement du courage managérial individuel…
Une erreur d’attribution ?
Imaginez deux groupes.
Vous allez proposer à ces deux groupes comportant des profils de personnalité hétérogènes de jouer à un jeu collectif comportant des enjeux financiers.
Au premier groupe, vous expliquez qu’il s’agit d’un jeu collaboratif (“Community Game”) où l’objectif est de gagner ensemble.
Au second groupe, vous expliquez qu’il s’agit d’un jeu de compétition (“Wall Street Game”) où “le gagnant ramasse tout” (“winner takes all”)
Bien entendu, il vont jouer au même jeu, mais vous vous gardez bien de leur dire.
A votre avis que va-t-il se passer ?
Hé bien, Lee Ross, un psychologue américain, a mené ces expériences dans les années 70 en utilisant le jeu connu du “dilemme du prisonnier”. Il a observé le comportement suivant :
Indépendamment des profils antérieurs, les personnes coopèrent 2 fois plus quand elles pensent jouer à un jeu de coopération.
Lee Ross a formalisé ses recherches sous le nom d’erreur fondamentale d’attribution (hypothèse confortée par une méta-analyse de 2006).
“Les observateurs surestiment à tort l’influence des facteurs personnels sur le comportement de l’acteur.”
Lee Ross
Le contexte, le sens donné à l’action, influe sur les comportements collectifs indépendamment des personnalités individuelles.
Ramené à notre sujet, nous pouvons alors considérer le courage managérial comme fortement dépendant du contexte dans lequel évolue les personnes. Plutôt que d’exhorter les individus à faire davantage ceci ou cela, la psychologie sociale nous invite à réfléchir à la manière de créer un contexte favorisant les comportements attendus…
Comment rendre le contexte davantage favorable aux comportements souhaités ?
Une compétence collective à soutenir
Mais pourquoi les managers ne font-ils pas spontanément preuve de ce courage attendu ?
Il doit bien y avoir des empêchements à cela ?
Don Reinertsen parle de « barrières électriques invisibles« …
Lorsque les managers « responsabilisent » les gens, ils ne donnent pas de limites claires à leur autorité. Cela signifie que les personnes doivent généralement les découvrir par essais et erreurs, en subissant des dommages émotionnels en cours de route.
Donald Reinertsen parle de « découverte de clôtures électriques invisibles » [Reinertsen 1997:107-108]. C’est une perte de temps et de ressources. Pire encore, le fait de se heurter à plusieurs reprises à des clôtures électriques invisibles a tendance à tuer la motivation des gens. Ils n’ont aucune idée des autres clôtures invisibles qui les entourent et préfèrent alors ne plus se déplacer. »
Jurgen Appelo – Management 3.0 (2012)

Posons donc directement la question à nos managers : qu’est-ce qui, selon vous, favorise ou empêche ces comportements ?
Lors de notre séminaire, il fut par exemple abordé l’écart entre discours et comportements sur le “droit à l’erreur”. Ce qui est aussi un des leviers identifiés par Christian Morel cité plus haut.
Le sujet devient alors comment, ensemble, encourager le “droit à l’erreur” ?
Qu’est-ce que cela signifie ? De quoi avons-nous besoin ?
Et ainsi de suite pour les différents empêchements identifiés…
Points-clés de cette 1ère partie
- L’escalier se balaye par le haut.
Commencer par réfléchir à l’exemplarité montrée par le Top Management. - Envisager le courage managérial comme résultant de processus collectifs, dans un contexte soutenant, plutôt que comme une compétence héroïque d’individus isolés.
- Comment rendre le contexte davantage favorable aux comportements souhaités ?
- S’intéresser aux empêchements éprouvés par les managers : qu’est-ce qui, selon eux, au quotidien, favorise ou empêche ces comportements ?
Travailler ensuite collectivement sur ces empêchements.
Dans le deuxième article, nous réfléchirons à « Comment soutenir le courage managérial ?«
Retrouvez une bibliographie et un support à télécharger dans le 2ème article…