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Renoncer à 5 illusions

Après 2020 année de l’improvisation permanente, que sera 2021 ?

Je ne suis pas devin, mais je pense que pour pouvoir adapter notre comportement à l’imprévu, nous avons besoin de changer notre manière de percevoir le monde. Et cela passe par renoncer à certaines des illusions qui conditionnent nos comportements.

3 disciplines essentielles dans la complexité et l’incertitude

J’ai eu l’occasion à plusieurs reprises au cours des mois passés de relayer les travaux du Business Agility Institute qui effectue un travail remarquable pour soutenir le changement dans les entreprises. En décembre, j’ai traduit en français , un livre blanc de Jardena London sur l’agilité structurelle, la traduction est disponible sur le site du B.A.I.

Introducing the Business Agility Institute - SolutionsIQ

Jardena traite dans l’article de la question suivante :

Comment la structure de votre entreprise peut-elle contribuer à atteindre une véritable agilité et à survivre aux défis posés par l’évolution de l’environnement ?

Jardena London

Question on ne peut plus d’actualité !

Pour se mouvoir dans l’incertitude et la complexité, Jardena propose de s’appuyer sur 3 « disciplines » essentielles (cf. son article « Do we need Discipline?« ) :

  1. les systèmes vivants
  2. la pensée systémique
  3. les tensions dynamiques (polarités)

Ce sont trois sujets au cœur des différents dispositifs que j’anime auprès des entreprises (équipes dirigeantes, middle management essentiellement).

Des systèmes vivants aux 3 disciplines

Je trouve intéressant de partager avec vous trois extraits du livre « Dépasser Darwin » de Didier Raoult, paru en 2010, soit bien avant les controverses liées au traitement du Coronavirus. Rappelons que l’auteur est un infectiologue réputé, spécialiste donc du monde microbien.

Voir à propos de ce livre que l’auteur positionne délibérément comme polémique envers le Darwinisme comme « religion » :

Dépasser Darwin

Sans entrer dans la polémique sur le Darwinisme, ma proposition est de considérer l’évolution de la pensée scientifique proposée par Raoult comme représentative de l’évolution de notre rapport au monde dans un écosystème de plus en plus perturbé. En partant de la discipline des systèmes vivants (ici essentiellement via les microbes), nous retrouverons les liens avec les deux autres disciplines, systémique et polarité. Après que les virus nous aient tellement embêtés en 2020, considérons ce qu’ils peuvent nous apprendre…

1) Cause ou conséquence ?

Dans le chapitre intitulé ‘L’obésité est une épidémie », le professeur Raoult présente les travaux du Dr Jeffrey Gordon sur l’obésité.

L’idée initiale des études menées il y a quelques années par le docteur Jeffrey Gordon était de montrer que les personnes obèses avaient plus d’enzyme pour digérer et convertissaient mieux les aliments en calories.

Didier Raoult

L’hypothèse du Dr Gordon était que la flore intestinale des obèses devait être plus riche, plus variée. Le résultat de ses études a démontré exactement l’inverse ! La flore intestinale des obèses est considérablement appauvrie par rapport à celle des minces.

Restait à déterminer si cette différence de flore était la cause ou la conséquence de l’obésité ? 

Une première expérience faisant varier les régimes alimentaires sur des volontaires obèses a prouvé que l’alimentation détermine la composition du microbiote intestinal.

Problème, une autre expérience menée ensuite par la même équipe sur des souris a conduit à démontrer…l’inverse ! Les souris auxquelles avait été transféré le microbiote d’obèses sont devenus obèses ; les autres sont restés minces.

Causes et conséquences s’interpénètrent trop pour offrir une lecture simple du phénomène.

D. Raoult

Cette histoire de microbiote, d’obèses et de souris, nous montre qu’une première illusion à abandonner pour appréhender le vivant est celle de la causalité linéaire : A entraîne B. Le phénomène observé ici est celui de la circularité :

L’obésité est donc en partie une conséquence de la variation du microbiote intestinale, elle-même conséquence de l’obésité.

Didier Raoult

Cause et conséquence s’influencent réciproquement dans des processus complexes que nous parvenons difficilement à concevoir et ensuite à modéliser.

2) Renoncer à 3 illusions pour approcher le vivant

« Je ne sais qu’une chose, c’est que je ne sais rien »

attribué à Socrate

Dans le chapitre « Que nous dit la science d’aujourd’hui ? », le professeur Raoult propose trois renoncements indispensables :

Plus nous apprenons, plus nous mesurons l’étendue de ce qu’il nous reste à apprendre. Le chercheur qui tente de pénétrer les mystères du vivant doit renoncer à trois illusions :

1) Les choses sont simples : nous vivons dans des écosystèmes complexes composés de chimères. Nous sommes nous-mêmes des chimères (1).

2) Les choses sont stables : depuis Héraclite (fin du vie siècle av. J.-C), on sait que ce n’est pas vrai– « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ». La création est permanente, les écosystèmes sont mouvants.

3) Les choses sont accessibles par la connaissance : on en sait beaucoup plus qu’il y a quelques années, infiniment moins que dans les années qui viennent.

Didier Raoult

(1) chimère : être ou objet bizarre composé de parties disparates. Pour Didier Raoult : « notre ancêtre est tout à la fois Sapiens, néandertalien, une bactérie et un virus !« 

Quelle conduite adopter si l’on ne sait pas ce que l’on ne sait pas (définition de la complexité) ?

Celle de l’expérimentation, de processus exploratoires enchaînant Explorer – Percevoir – Réagir, en se méfiant de nos biais cognitifs qui amènent souvent à ne tenir compte que des résultats validant l’hypothèse initiale…

3) La vie, une combinaison d’ ordre ET de chaos

Dans sa conclusion, le livre emprunte à Nietzsche la tension génératrice entre forme et chaos, Apollon et Dionysos, que nous explique Sandrine Guignard dans « NIETZSCHE ET LA VOLONTÉ DE PUISSANCE » :

 Le monde pourra s’identifier comme le lieu de la lutte entre des force antagonistes et néanmoins complémentaires, lutte entre force et forme, lutte entre Dionysos et Apollon. Si Apollon représente le dieu des formes, de la plastique, de la beauté et qu’il a la capacité de créer des images, Dionysos, quant à lui manifeste la force, la musique, le tumulte et l’ivresse. Cette union conflictuelle et fraternelle entre ces deux dieux aboutit à une force qui éclate la forme, à une forme qui encadre la force.

Sandrine Guignard
Apollon & Dionysos - Histoire & Odyssée
Appolon (la forme) et Dionysos (la force)

Nous retrouvons ici l’expression d’une polarité comme l’évoquait Jardena London, une tension irréductible du vivant qui générera d’autres tensions récurrentes dans les entreprises : stabilité et changement, court-terme versus long-terme et exploitation par rapport à innovation…

Dans cette perspective, il ne s’agit pas de privilégier l’un au détriment de l’autre, mais de chercher à tirer le meilleur des deux. Nous chercherons à créer les conditions pour « une force qui éclate la forme, et une forme qui encadre la force », en reprenant la belle expression de Sandrine Guignard.

Résumé

Pour mieux se mouvoir dans un monde complexe et incerrtain, cet article invite donc à développer notre attention sur (au moins) 5 points :

  1. se méfier des causalités trop simplistes dont sont friands médias et réseaux sociaux. Commencer par distinguer corrélation et causalité, puis causalité linéaire et circulaire. Nombre de relations humaines gagnent à être interprétées avec un regard circulaire plutôt que linéaire, cela permet de sortir du « c’est lui qui a commencé ! »
  2. interroger les simplifications abusives, par exemple toutes les fois où l’on fait porter la responsabilité d’une situation sur l’individu (positivement ou négativement) en négligeant le contexte environnant (gestion des « talents », personnes « en échec »…).
  3. voir des processus à l’œuvre plutôt que des états stables à atteindre. Passer de l’ancienne logique de conduite du changement à une recherche de transformation continue (et silencieuse comme la qualifie François Jullien).
  4. assumer le pouvoir limité de la connaissance à un instant t. Favoriser un apprentissage permanent, individuel ET collectif (question de la socialisation de l’apprentissage)
  5. s’entraîner à voir les tensions comme des expressions de polarités dont on cherche à tirer parti plutôt que de s’épuiser à les faire disparaître (voir mon atelier sortir de la binarité).

En conclusion,
pour développer agilité, apprenance et résilience dans nos entreprises,
en nous inspirant des systèmes vivants,
nous suggérons de développer une pensée systémique
et la capacité à tirer parti des tensions dynamiques (polarités).
C’est tout l’enjeu de nos folles années (20)20…

Les Années folles de Henri Torrent, Mirea Alexandresco (1960) - UniFrance

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