Vers une position de sécurité dans l’incertitude

Adaptation et traduction d’après l’article de Barry Mason (1993)

Question au lecteur : Vivez-vous l’incertitude confortablement avec curiosité ou l’inconfort vous amène-t-il à chercher au plus vite à vous retrouver en terrain connu ?
Honnêtement, dans votre ressenti, pas en théorie…

L’observation montre que nous avons tendance à assimiler certitude et sécurité, ce qui a pour effet … de nous mettre en insécurité.

Dans cet article inspiré par les propositions de Barry Mason, nous allons en envisager les conséquences sur la posture de l’acteur du changement…


Une posture basée sur l’implication de l’intervenant dans le système

L’objectivité est « un moyen d’éviter la responsabilité ».

— Von Foerster

Le modèle “Safe uncertainty” de Barry Mason est issu de son expérience de thérapeute famililal et se fonde sur les concepts systémiques fondamentaux de positionnement de « premier » et de « second ordre ».

  • La première position est celle du savoir et de l’expertise;
  • La seconde embrasse une position de « non-savoir », de curiosité et d’incertitude.

Jusqu’à la fin des années 1970, la thérapie familiale s’inscrivait dans une perspective connue sous le nom de perspective de premier ordre (Hoffman,1985). 

Une famille se présentait avec un problème, le thérapeute découvrait/diagnostiquait ce qui n’allait pas et, grâce à ses compétences et son expertise, la ramenait à la santé. Les thérapeutes de premier ordre dirigent essentiellement à partir d’une position de savoir, et ils ont tendance à relier les difficultés qu’ils rencontrent à ce contexte.

Ros Draper (1990, communication personnelle) a défini la différence entre une perspective de premier et de second ordre comme suit :

  • Dans la première, le thérapeute conduit la séance comme s’il était en face du client, l le conduisant vers un meilleur endroit connu du thérapeute. Position de certitude de sécurité
  • Dans la seconde, le thérapeute est à côté ou légèrement derrière le client, utilisant son expertise pour ouvrir l’espace afin de permettre l’émergence d’un nouveau sens. Position de sécurité dans l’incertitude.

Ces distinctions peuvent aider les acteurs du changement à à s’éloigner d’une position qui consiste à « savoir comment les choses devraient être » (Cecchin, 1993) pour s’orienter vers des positions qui assument la part d’inconnu pour envisager différentes possibilités.

Le rapport à la solution

L »illusion à abandonner :
« Trouvez une solution pour résoudre ce problème et tout ira mieux ».

Nous pouvons tomber dans le piège de voir les solutions en termes absolus. Nous sommes alors pris dans la recherche de la « bonne » réponse, LA solution, qui n’attend que d’être découverte pour accéder à une nouvelle radieuse réalité.

La recherche de ce qui est bien, la quête de solution idéale, la recherche de la bonne voie, tout ça mène vers un champ de mines…

Pour l’éviter, une définition différente d’une « solution » est nécessaire :

Les solutions ne sont que des dilemmes plus apaisés du dilemme que l’on avait précédemment.

— Barry Mason

Les pièges de la recherche de solutions immédiates

Pour que le changement se produise, il faut qu’une différence soit introduite d’une manière qui rend moins sûrs de la position occupée.

Moins nous sommes curieux, plus nous avons l’illusion de comprendre rapidement, plus nous nous raccrochons à notre « connu » (modèles, outils, expérience…) et plus nous risquns de nous retrouver dans une position de « certitude prématurée » (Stewart et al. 1991).

Selon Mason, les intervenants doivent entretenir un « doute autoritaire ». (Note CK : au sens argument d’autorité, autrement dit “une expertise qui doute”)

Un intervenant qui se trouve dans une posture de sécurité dans l’incertitude se sent à l’aise dans une position de « non-savoir ». Il est capable d’équilibrer son expertise avec l’incertitude, c’est-à-dire d’assumer sereinement qu’il ne dispose pas de toutes les connaissances, de toutes les informations ou de tous les faits. 

Il est possible d’avoir des croyances fortes tout en restant cohérent avec une position de « non-savoir » (Krull, 1988).

En étant moins sûrs de nous, nous sommes plus susceptibles d’être réceptifs à d’autres possibilités, à d’autres significations que nous pourrions donner aux événements. Si nous pouvons devenir plus ouverts à l’influence possible d’autres perspectives, nous ouvrons l’espace pour que d’autres points de vue soient exprimés et entendus.

Synthèse

En résumé, ne jamais s’enfermer dans la recherche de la « bonne » réponse, c’est-à-dire s’efforcer d’obtenir des certitudes, mais doivent toujours être curieux de savoir ce qui peut advenir de nouveau, d’inconnu. Se laisser étonner…Cela part de sa relation personnelel à l’inconfort de l’incertain…

Posture de l’intervenantDescriptionConséquences
Certitude dans l’insécuritéRecherche de solutions immédiates, s’accroche à des modèles prédéfinis, évite l’incertitude.Peut conduire à des solutions inadaptées, résistance au changement, manque d’innovation.
Sécurité dans l’incertitudeAccepte de ne pas avoir toutes les réponses, adopte une posture de curiosité, favorise l’émergence de solutions co-construites.Encourage l’engagement des parties prenantes, favorise l’innovation et l’adaptation aux contextes complexes.

Réflexivité


Barry Mason, une interrogation de la posture de l’intervenant

Barry est un thérapeute familial systémique gallois.

Barry a proposé plusieurs  réflexions sur la posture interne de l’accompagnateur qui ont marqué la thérapie familiale systémique :

1) Le rapport de l’intervenant avec la certitude
Si le thérapeute se sent en insécurité avec l’incertitude, il va chercher à se retrouver le plus vite possible en terrain connu. D’où le succès des outils, frameworks et l’attrait du diagnostic. Pour Mason, cultiver une attitude de “safe uncertainty” favorise le changement en laissant ouvert le champ des possibles entre intervenant et client.

2) Le rapport de l’intervenant avec l’expertise
Le thérapeute est un expert de son domaine, c’est pour cela que le client le consulte. Or, que ce soit pour les thérapeutes ou les coachs, s’est installée une obligation de “non-savoir”, de position basse qui se traduit par une limitation de l’intervention à poser des questions. 

Mason trouve cela extrêmement réducteur et défend une posture d’intervention basée sur l’”authoritative doubt” où l’intervenant s’autorise à utiliser ce qu’il sait en tant que figure d’autorité (authoritative) mais en conservant à l’esprit qu’il n’y a pas de certitude (doubt). Il contribue ainsi à l’émergence de nouvelles options en apportant des hypothèses fondées sur son savoir et son expérience. Cela fait écho au travail de Mony Elkaïm et François Balta entre autres. Il existe un espace entre l’interprétation autoritaire et le questionnement ignorant…

d’après François Balta

3) le rapport de l’intervenant avec le challenge dans la relation
Dans les entretiens avec la famille, Mason va s’intéresser particulièrement à ce qui est latent, mais ne se dit pas explicitement, ce qui est très présent pour l’un des membres, mais qu’il n’exprime pas. Il va encourager l’expression de ce ressenti retenu en encourageant à prendre un “relational risk”. Si les personnes retiennent leur expression,  c’est qu’elles ressentent le fait de parler de ce sujet comme supportant un risque pour la relation avec les autres membres.

Ex. récent dans un autre contexte : une manager de proximité n’ose pas aborder avec sa n-1 le fait que le comportement de cette dernière a a mené ses collègues à lui donner un surnom depuis de nombreuses années. Pourtant ce surnom fait écho à une difficulté que la manager elle-même rencontre avec cette personnes. Pour préserver la relation, on continue à faire comme si…

Exemple d’utilisation du risque relationnel :

Quels seraient les sujets ou messages qui impliqueraient un risque relationnel s’ils étaient abordés ?

Explorer : Qu’est-ce qui rend ce risque insoutenable ? Que faudrait-il pour qu’il devienne un risque supportable, voire fécond ?

Une posture nécessaire pour le Carré Magique Systémique®

L’emploi de notre framework (CMS®) d’accompagnement est soutenu par une posture de l’intervenant qui résonne avec la description par Barry Mason de « safe uncertainty« . 

Sans l’adoption de cette posture, le praticien risque d’utiliser le CMS® comme une grille de lecture rigide ou prescriptive.

Si l’intervenant reste dans la posture de « certitude prématurée », chaque quadrant du CMS peut être biaisé :

  • Conscience : Risque de projeter ses propres interprétations au lieu de s’ouvrir aux ressentis, contradictions internes, peurs et désirs du client.
  • Contexte, acteurs, contraintes : Risque de simplifier les dynamiques en collant des étiquettes, en cherchant des « bons » et des « mauvais ».
  • Communication & interactions : Risque de croire comprendre d’emblée les implicites (risque que l’on retrouve avec des modèles comme celui du triangle dramatique par exemple) au détriment des dynamiques évolutives.
  • Co-responsabilité : Risque de chercher des solutions normatives sans laisser la place aux surprises et à l’émergence
la posture de sécurité dans l’incertitude pour chacun des quadrants du CMS

Adopter une position de « non-savoir » générative

En adoptant une posture de sécurité dans l’incertitude, le CMS® devient un espace d’exploration partagée, où l’incertitude est sécurisée par les repères fournis par les 4 quadrants.

Comme le souligne Barry Mason, l’incertitude devient féconde quand elle est sécurisée par une posture de curiosité engagée et d’expertise qui doute.

L’intervenant CMS® cultive l’art du “doute autoritaire” : il assume ses expertises sans s’y enfermer, il ouvre des possibles sans prescrire, il accueille l’incertitude comme un espace partagé d’exploration plutôt qu’un vide à combler.


Towards Positions of Safe Uncertainty
Originally published as: Mason, B. (1993). Towards positions of safe uncertainty, Human Systems, 4 (3–4), 189–200.

Re-visiting safe uncertainty: six perspectives for clinical practice and the assessment of risk
Barry Mason
Journal of Family Therapy (2019) 0: 1–14
doi: 10.1111/1467-6427.12258

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