Comment la différenciation influence nos pratiques d’accompagnement

Récemment, j’ai eu l’opportunité de participer à une séance du Global Supervisor Network (GSN) dont le thème de session était :

“What are we reluctant to let go of as supervisors?”
À quoi sommes-nous réticents à renoncer en tant que superviseurs ?

Ce questionnement était proposé par Tatiana Bachkirova, référence majeure dans le domaine de la supervision. Tatiana est une chercheuse reconnue, auteure de nombreux ouvrages sur le coaching et la supervision, dont le très apprécié Coaching and Mentoring Supervision: Theory and Practice avec Peter Jackson et David Clutterbuck :

Dans cette session, Tatiana invitait à explorer les filtres que nous, superviseurs ou accompagnateurs, appliquons, souvent de manière non-consciente, dans nos relations professionnelles :

“En tant qu’observateurs, nous portons de nombreux filtres, qui restent fermement ancrés parce que nous ne voulons pas renoncer à notre importance personnelle, à nos connaissances, à notre statut, à notre confort, à nos convictions, etc.”

Cette réflexion sur nos filtres m’a particulièrement interpellé, notamment sur un point précis : la différentiation.

La différentiation : un filtre omniprésent

La différentiation est ce qui nous pousse à construire et montrer notre singularité, à nous distinguer des autres, que ce soit dans nos relations professionnelles ou personnelles.

Pour un professionnel, il est important de montrer sa singularité par rapport à des professions différentes, ex : en quoi le coaching n’est pas de la thérapie. Puis de se différencier de ses pairs, pourquoi me choisir moi plutôt qu’un autre ? Questionnement qu’utilisent de nombreux conseillers en développement pour vendre leurs services, par exemple pour développer sa « méthode signature « …

Une fois choisi comme intervenant, la différentiation s’invite de nouveau dans la relation d’accompagnement : comment se marque ma différence en tant qu’intervenant par rapport à la personne ou au groupe accompagné ? Nous en verrons un exemple plus loin…

Se différencier prend plusieurs formes dont la mise en avant et la mise en retrait.

Mise en avant

Parmi les manières de se mettre en avant, citons les certifications, les accréditations, l’accumulation de formations, d’outils, les publications (LinkedIn, articles, livres…), la création de nouvelles méthodes « innovantes », l’attrait pour la nouveauté (neuroscience, IA,…), l’investissement dans la Recherche, le Doctorat très prisé des anglo-saxons.

A noter le processus paradoxal : plus le marché cherche à normaliser au travers de référentiels de compétences, certification, accréditation, etc., plus les individus ont besoin de sortir du lot et de créer des exceptions ! Au grand désespoir des fédérations au cœur de ce jeu de forces contradictoires…

Se différencier n’est pas le problème en soi, cela peut cependant le devenir lorsque nos habitudes de différentiation s’invitent inconsciemment dans nos relations d’accompagnement.
Et les occasions sont multiples : comment, en tant que superviseur, je me différencie de la personne ou du collectif que j’accompagne ? Quelle est ma représentation interne ? Comment les personnes accompagnées se différencient de moi ?

Mise en retrait

Se mettre en retrait pour se différencier peut sembler étonnant, mais cela constitue aussi une forme de différentiation. Par exemple, un participant critique ou non-conformiste dans un groupe peut chercher à se démarquer par son opposition. Le coach ou le superviseur peut confondre neutralité et retrait perdant ainsi de sa capacité d’influence ou abîmant la relation avec la personne accompagnée qui le vit comme un manque d’empathie.

Risque ?

Nous, superviseurs ou coachs, ne sommes jamais totalement neutres. Nous arrivons avec nos propres filtres, nos attentes, nos besoins. Sans réflexivité, ces dynamiques peuvent nuire à la relation et réduire son impact.

Dans une relation d’accompagnement, les dynamiques de différentiation peuvent s’inviter subtilement et parfois perturber la qualité de l’interaction.

Exemple : l’accompagnement d’un groupe de coachs internes

Cette réflexion m’a ramené à une expérience passée avec un groupe de coachs internes d’entreprise. Ces professionnels accompagnaient principalement des équipes au sein de leur organisation. Notre travail ensemble rencontrait plusieurs difficultés :

1. Bloc collectif : Le groupe avait tendance à se souder autour d’une opposition aux managers de l’entreprise, perçus comme “les méchants” responsables de toutes leurs difficultés.

2. Manque de divergence : Les discussions restaient souvent consensuelles, empêchant l’émergence de perspectives nouvelles ou critiques et l’approfondissement des situations.

3. Relation avec moi, le superviseur : J’avais du mal à introduire de la profondeur dans nos échanges. Mon rôle semblait perçu comme extérieur ou manquer légitimité.

Avec le recul, je pense qu’expliciter avec le groupe les processus de différentiation aurait pu constituer une manière fructueuse de transformer les difficultés de cette intervention en opportunités réflexives.

Le groupe vis-à-vis des autres professions :
Comment ces coachs internes cherchaient-ils à se différencier des managers ou d’autres acteurs de l’entreprise ?

Le groupe vis-à-vis de l’extérieur :
Comment ces coachs internes se différentient-ils de leurs pairs consultants externes ?

Le groupe vis-à-vis de moi :
Quelles étaient leurs attentes implicites, et comment se différenciaient-ils de mon rôle extérieur ?

Moi vis-à-vis du groupe : Comment mes propres filtres, mon besoin de “mise en avant” « en retrait » ou ma perception du groupe, influençaient-ils notre travail ?

Expliciter ces processus avec le groupe aurait permis d’ouvrir une discussion, de lever certaines résistances, ou de mieux comprendre les obstacles.

Pourquoi cette réflexion est essentielle pour les professionnels de l’accompagnement

Dans une profession fondée sur la relation et l’écoute, ignorer nos propres filtres, dont celui de la différentiation, peut limiter notre impact.

Résumé :

La différentiation est un filtre puissant qui façonne nos relations d’accompagnement.

Se différencier n’est pas un problème en soi. C’est même parfois nécessaire pour affirmer notre légitimité ou enrichir notre pratique. Le problème surgit lorsque ces postures – de mise en avant ou de mise en retrait – deviennent inconscientes et impactent nos relations professionnelles.

Qu’elle prenne la forme d’une mise en avant ou d’une mise en retrait, la différentiation peut enrichir la relation… ou la compliquer. La réflexivité est donc essentielle pour identifier ces dynamiques et mieux les intégrer en conscience dans notre pratique.


Points-clés :

Cet article vous invite à prendre un moment de recul sur vos pratiques et à explorer comment la différentiation, consciente ou non, peut enrichir ou limiter vos relations d’accompagnement.

1. La différentiation peut se manifester par une mise en avant (certifications, publications, innovations) ou une mise en retrait (postures critiques ou non-conformistes, neutralité non maîtirsée ).

2. Ces dynamiques sont souvent inconscientes et peuvent influencer nos relations d’accompagnement, parfois de manière limitante.

3. La réflexivité permet de mieux comprendre nos propres filtres et ceux des personnes ou groupes que nous accompagnons.

3 questions réflexives à se poser

1. Comment est-ce que je me différencie dans ma pratique professionnelle ?

Est-ce par des certifications, des publications, ou d’autres formes de mise en avant ? Y a-t-il des moments où je me mets en retrait pour me différencier ?

2. Comment ces dynamiques influencent-elles mes relations d’accompagnement ?

Est-ce que mes postures (mise en avant/retrait) servent ou compliquent mes interactions avec les personnes ou groupes que j’accompagne ?

3. Quelles perceptions de différentiation les autres ont-ils de moi ?

Comment les personnes ou groupes que j’accompagne me perçoivent-ils ? Quels filtres ou attentes amènent-ils dans notre relation ? Comment est-ce que j’utilise cette propriété ? Comment j’en joue en fonction des situations ?


Et vous, quelles sont vos réflexions sur ce sujet ?

Partagez vos expériences ou vos idées dans les commentaires !

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.