Ou comment ritualiser l’agitation sans impact positif
Inspiré par un article initial de Derek Thompson, Albert Moukheiber a écrit en 2021 dans l’Express un article sur le « théâtre de l’hygiène », qualifiant une des manières dont nous avons réagi à la crise sanitaire du COVID.
L’idée de mon post n’est pas de revenir sur les mesures anti-COVID, mais de partager l’écho que j’ai trouvé dans ce théatre de l’hygiène avec un « théâtre de la transformation » en entreprise qui remplace la recherche d’impact réel par de l’agitation absurde et épuisante.
Théâtre de l’hygiène
Je vous partage tout d’abord quelques éléments pour comprendre cette idée de « théâtre de l’hygiène »…
Hygiene Theater Is a Huge Waste of Time
Derek Thompson, rédacteur en chef à The Atlantic, a publié en 2020 et 2021 deux articles sur ce qu’il a appelé le « théâtre de l’hygiène » en le qualifiant d’une perte de temps !
Voir les articles :
- https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2021/04/end-hygiene-theater/618576/
- https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2020/07/scourge-hygiene-theater/614599/
« COVID-19 a réveillé l’esprit d’anxiété mal orienté de l’Amérique, en inspirant aux entreprises et aux familles l’obsession des rituels de réduction des risques qui nous font nous sentir plus en sécurité mais ne font pas grand-chose pour réduire les risques, même si des activités plus dangereuses sont toujours autorisées. C’est le théâtre de l’hygiène.
(…)
Le théâtre de l’hygiène peut détourner des ressources limitées d’objectifs plus importants.
C’est comme si une ville au bord de l’océan traquée par une frénésie de requins voraces incitait les gens à retourner à la plage en disant : « Nous nous soucions de votre santé et de votre sécurité, alors nous avons renforcé la promenade avec du béton. »
Albert Moukheiber reprend cette idée dans son article. Le théâtre de l’hygiène regrouperait toutes les pratiques hygiéniques qui donnent une illusion ou une impression de protection sanitaire mais qui, finalement, ne serviraient pas à grand-chose pour limiter la progression du Covid-19.
Conséquences de l’agitation
Le Dr en psychologie dénonce 3 conséquences néfastes à cette mauvaise allocation de ressources :
- procurer un faux sentiment de sécurité
- donner une impression d’action, de reprise de contrôle par des gestes qui ne servent pas à grand-chose
- individualiser les réponses alors que les mesures les plus importantes sont à prendre au niveau collectif
« Au-delà des gestes individuels, il est temps d’apporter une réponse collective dans la lutte contre la pandémie. »
Un théâtre de la transformation ?
Je pense que le processus évoqué se retrouve dans d’autres contextes humains et peut se résumer dans les phases suivantes :
- une situation difficile, une crise provoque une inquiétude chez les membres d’une population donnée
- les dirigeants doivent rassurer et montrer qu’ils contrôlent une situation sur laquelle ils n’ont pas forcément d’information ou de compréhension
- ils appellent à la rescousse des experts auto-proclamés et déploient des simulacres d’activité qui occupent la population mais n’ont que peu ou pas d’impact sur la crise
- cela rassure temporairement « le peuple » (en entreprise on pourrait ajouter le comité d’administration, les actionnaires…)
- cette agitation se ritualise en détournant attention et énergie au détriment d’actions plus efficaces
Retrouvez-vous ces phases dans certaines initiatives de changement ou de transformation ?
Un écho personnel ?
Vivez-vous par exemple un « théâtre de l’agilité » qui se définirait par :
- une agitation ritualisée sans impact positif réel
- une demande d’efforts individuels
- tout cela évitant de questionner les changements collectifs nécessaires à une réelle transformation durable
Le parallèle pourrait sans doute s’étendre au traitement des autres crises majeures que nous subissons : climatique, bio-diversité…
Il amène aussi à s’interroger sur nos comportements individuels :
- Dans quelle mesure j’agis sous l’injonction à l’agitation ?
- Quelle part de ce que je fais est fait pour montrer que je fais ?
- Quelle est ma part de responsabilité dans ce théâtre de l’agitation ?
Qu’en pensez-vous ?