In God we trust, all others must bring data
William Edwards Deming
Les farfadets du logiciel
L’histoire commence lors du Scrum Day 2012, le 27 mars, où j’assiste à la conférence « Les farfadets du logiciel » par Laurent Bossavit.

Vous pouvez retrouver en ligne les slides et la vidéo.
L’orateur commence par démolir quelques légendes urbaines :
- Nous utilisons 10% de notre cerveau (lire ici),
- La grande muraille est la seule construction visible de l’espace (c’est assez rigolo, car le débat est encore assez actif là-dessus),
avant d’appliquer son entreprise de démystification au logiciel et ensuite à l’agilité.
Je liste simplement ici les thèmes abordés en vous invitant à lire les slides ou visionner la conférence sur Youtube.
- « 56% des bugs d’un projet logiciel sont introduits lors du recueil d’exigences »
- Coûts relatifs de correction des défauts
- Cône d’incertitude
- Scrum hyperproductif
Laurent explique en particulier quelques mécanismes de renforcement du « on-dit, d’après-plusieurs-études, de-nombreuses-sources », comme la citogenesis, et encourage à vérifier les sources :
- lire les articles “originels”, ne pas se contenter de simples citations
- chercher le sens des recherches citées, et vérifier les données
Faute de quoi, on s’expose à propager et renforcer des mythes, en définitive aussi farfelus que « les bugs rencontrés dans les logiciels sont introduits par des farfadets la nuit ». D’où le titre de la conférence…
Entreprise intellectuellement hautement respectable, mais demandant une rigueur monastique que Laurent a scrupuleusement appliquée lors de l’écriture de son livre The Leprechauns of Software Engineering disponible au téléchargement sur Leanpub.
Fort secoué par le sujet et remis en cause dans certaines convictions (certains des mythes se retrouvent dans mes supports de cours !), j’achète le livre. Je mets quelques mois à trouver le temps de le lire, puis encore un peu de temps avant de rédiger ce billet.
The Leprechauns of Software Engineering
Tout d’abord, je proposer d’attribuer à Laurent le grand prix marketing « du-livre-au-titre-le-plus rebarbatif-dont-on-se-souvient-jamais-du-nom. » Mais ce serait dommage de s’arrêter à ce détail, car son contenu mériterait d’être déductible des impôts au titre des œuvres d’intérêt général.
Laurent y étend à d’autres sujets l’entreprise de débusquage des farfadets : « 10x variation in programmer productivity”, « crise du logiciel », etc.
Quelquefois, en refermant un livre, on se dit « c’est un bon livre, j’aurais aimé l’écrire ». Là on se dit « ce livre est précieux, mais quel pensum d’avoir effectué ce travail de recherche ! » Bref, je suis content d’avoir acheté ce livre car cela me libère de la mauvaise conscience de ne pas avoir le courage de faire ces recherches par moi-même !
J’avoue que j’ai calé sur les annexes décrivant le détail des recherches, alors je demeure rêveur sur la ténacité nécessaire aux démarches qui ont présidé à leur rédaction ! Toute ma gratitude envers Laurent pour s’être tapé ce sale boulot de « data checker » ! J’attends la saison 2 avec intérêt : est-elle programmée ?
Une reserve : Laurent est souvent bavard, ce qui dilue parfois le message et son anglais est plus élaboré que celui de nombre d’auteurs anglo-saxons (!), ce qui n a pas contribué à la fluidité de ma lecture.
TP
Contaminé par la version locale (bretonne) du phénomène, je me suis supris à chasser le korrigan entre une crêpe et un chouchen (mythes ?). Voici deux exemples rencontrés lors de différentes lectures ou conférences agiles.
1) Le mythe de la communication non verbale : formule 7-38-55
« Quelques études (sic !) ont montré que dans une communication interpersonnelle le message est transmis seulement par 7% des mots; 38% par le ton de la voix; et 55% est communiqué à travers le langage du corps. »

Birdwhistell se moquait volontiers de la « communication non verbale« :
« Je ne fais pas simplement de l’esprit quand je dis que parler de communication non verbale est comme parler de physiologie non cardiaque, quand je dis que la physiologie, non l’anatomie, est le modèle essentiel. Le foie n’est un foie que sur la table de dissection de l’anatomiste. C’est la partie d’un cadavre, insuffisante pour une fonction vitale !».
Birdwhistell
2) Mythe cerveau droit-cerveau gauche
Là on on touche à du lourd et du sensible car ce mythe ultra-répandu est souvent utilisé pour différencier les pré-supposées capacités rationnelles-masculines et créatives-féminines avec toute les implications émotionnelles que cela peut entraîner !
Prenons l’exemple de l’article « Cerveau droit président ! » dans un blog sur le coaching.
Tout en commençant par
« Cerveau gauche, cerveau droit : dichotomie en vogue un temps, puis délaissée à la suite de découvertes qui replaçaient langage, émotions, vision, imagination etc. à parts égales sur les deux hémisphères. »
l’article se termine par :
« Si vous avez l’impression que l’omniprésence de votre cerveau gauche limite votre évolution professionnelle et souhaitez y apporter du changement, pensez au coaching ! »
Et si vous regardez dans les commentaires, même lorsqu’un des lecteurs tente d’apporte rune information :
Le concept de cerveau droit et cerveau gauche est un neuro-mythe. Cela été prouve en 1997 entre autre par stanislas Dehaene, neuroscientique du Collège de France
http://interim.over-blog.com/article-neuromythe-2-les-cerveaux-droit-et-gauch…
l’auteur ne se perturbe guère
Merci pour cette info et ce lien. Il me semble que Iain McGilchrist dit bien la même chose
Ian McGilchrist est l’auteur cité en introduction à l’appui de son article :
Il nous montre comment notre monde s’est façonné selon le paradigme du cerveau gauche, et comment le cerveau droit gagne à être connu, entendu et suivi.
Pire sourd que celui qui ne veut point entendre…
Mais, ça peut aller encore bien plus loin comme dans ce billet Cerveau droit et cerveau gauche, L’ébauche d’un dialogue entre la Science et la Tradition :
Les deux hémisphères cérébraux obéissent à la loi de formation archétypielle induite par le Tétramme-Epée ; ils sont les aspects dominants des deux hé;
(…)
Les temps sont venus d’un mariage entre nos deux cerveaux, d’un mariage entre le masculin et le féminin respectivement prépondérant, dans l’hémisphère gauche et l’hémisphère droit…
Cet article donne un éclairage intéressant sur le substrat culturel judéo-chrétien qui peut servir de terreau à la croyance dichotomique.
Et l’on devine facilement que j’associe le Verbe au cerveau gauche (qui d’ailleurs détient la fonction parolière) et l’Esprit au cerveau droit.
Pour aller plus loin :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Asymétrie_cérébrale
http://www.charlatans.info/droitetgauche.shtml
http://www.charlatans.info/news/Certaines-personnes-sont-elles
« Les deux moitiés du cerveau diffèrent dans leur traitement des tâches plutôt que dans ce qu’elles traitent (McCrone, 1999 [3]). «
« Tant que les connexions avec le côté gauche sont intactes, les deux hémisphères communiquent normalement ensemble durant la plupart des tâches (Mercer, 2010 [4]). »
[2013-08-23] : La fin du mythe des personnes à cerveau « droit » ou « gauche »
Á votre tour de débusquer d’autres mythes
mais avant tout, lisez le livre de Laurent !
3 commentaires